Licorne 10 Posted June 13, 2012 Partager Posted June 13, 2012 Je commence par ce magnifique texte de Assia Djebbar. Les yeux de la langue, une nouvelle de Assia Djebar Au plus loin dans la maison du père Ce matin, le premier en terre américaine, en cette année 1996, ces mots en moi : -Tu négocies toujours avec ton pays, mais mal. Tu veux le quitter et ne pas le quitter, l’oublier et ne pas l’oublier, le maudire et le célébrer… Tu lui tournes le dos, tu vas au plus loin, cela te fait mal- une déchirure qui n’en finit pas - tu vas le plus loin possible et au plus loin tu te sens davantage des ailes pour t’envoler, t’alléger, rêver continûment et gratuitement ; tu sens vivacement tes pieds en tous lieux battre le rythme, la vie, le bonheur ou son illusion. Oui, tu acceptes d’aller vivre le plus loin possible, en Louisiane ou en Californie et demain au Japon, en Inde, au Thibet ou dans les sables des routes d’autrefois, des routes de la soie, au cœur le plus nombreux de l’Asie, de l’Orient, le plus loin possible jusqu’à te retrouver vers la fin - lui, le pays - face à toi, te bloquant encore l’issue, révélant ailleurs ses murs, sa prison, son opacité. Tu vis le plus loin possible de l’Algérie ; désormais tu veux lui tourner le dos une fois pour toutes, et là… Là des yeux larges, des yeux profonds au regard immobile te poussent dans le dos, s’ouvrent et s’élargissent dans ton dos, oui, et c’est pour regarder encore ce pays et son drame, et son sang, contempler à la fois sa traîtrise, son martyre et… Et sa malédiction. Des yeux ? Les yeux de la langue, les yeux de la mémoire perdue…La lampe qui bruisse et qui n’a plus de mot en toi, la muette souterraine qui n’a pas plus de force pour mouvoir la main et inscrire (quels en seraient les caractères ?) l’alphabet étrange dont s’entoura, avant de mourir Tin Hinan. La langue sans les signes, avec seulement un bruit qui écorche, qui désaccorde la seconde langue - celle-ci se dit sacrée, elle te rendait bègue devant ta mère et ses amies poétesses qui déclamaient, qui improvisaient mais toujours en cette seconde langue, langue du Livre quand elles pleuraient la mort en vers de lacération -, tout ce temps, la première, la secrète, la païenne, la langue qui assourdissait, qui réclamait dialogue, qui au fond de ton larynx soliloquait jusqu’à t’étouffer, tout ce temps, la langue primitive qu’on prétend barbare, aurait pu danser en toi et te faire danser, mais trop tard ! Trop tard, tu t’envolais ailleurs, dehors, dans un espace où les langues et les corps s’emmêlaient en fantaisie, en liberté : chœur et ballet s’enrichissaient, se diversifiaient - et en premier, pour toi, la langue franque qui pour te séduire, cachait son prix de sang (les plaies sanglantes de cadavres de tes ancêtres que ses maîtres avaient abattus et qu’elle avait, elle, enterrés) , la franque donc qui exposait devant toi, en appât, les mots de ses poètes, de ses rêveurs, de ses chimériques et jusqu’aux chants et aux plaintes de ses femmes, des sœurs possibles en effet, et au cœur brave. Il y eut à sa suite la langue grecque, puis l’italienne, puis… A quoi bon, tu oubliais la primitive, l’ensauvagée, celle dans laquelle sans félure, sans blessure, du premier coup, tu aurais virevolté ! Aujourd’hui et si tard, elle revient, l’effacée, avec ses yeux inscrits dans ton dos : pour faire de toi, et malgré toi,l’écouteuse du silence si compact là-bas. Toi, ô toi qui t’en vas au plus loin ! Tu devrais dire non à celle qui prétend revenir, avec ses yeux voraces, mais sourde et muette à ton mouvement. A ton espoir. Tu devrais… Ton père est mort, pas encore six mois de cela. Est-ce lui qui te l’a met ainsi en présence, qui la fait gicler par derrière de là-bas, de Césarée où tu n’a pu aller -parce que soudain tu l’as compris comme une insoutenable évidence : ainsi, il serait là-bas fiché, «inhumé» disent-ils et cela aboutit à quoi, soudain, pour lui et pour toi ? De là-haut, du sommet de sa cité, de la capitale antique et rousse, avilie et asservie, oui, là-haut, il ne peut voir la mer, ni même le port autrefois englouti, sauf le vieux phare de vingt siècles, ce phare vers lequel lui, le jeune homme qu’il fut, dans un crawl impeccable ou en brassées régulières, il nageait et parvenait, souffle soutenu, jusqu’à la pierre rougie, illuminée le soir… il fut champion de natation un jour, lui, le fils du pauvre ; il connut dans cette cité de rois ses premières victoires, ses ivresses ; également sa nuit de noces. Lui aujourd’hui aveuglé. Yeux éteints. Enterré, disent-ils, et les femmes sur sa tombe, coiffées de blanc - elle, sa sœur, ses nièces, ses cousines…- elles murmurent, elles babillent, répandent des aumônes, parlent de toi paisiblement, toi le père ; moi, non ! C’est impossible, pas ainsi ; au-dessus de ton corps, jamais ! Par contre, je t’inscris en jeune homme de vingt ans, en nageur de fond, le premier autochtone de la ville à régner ainsi. Ces mots de nouveau, en toi, et qui lancinent : -Tu devrais dire non à cette langue effacée ! Est-ce le père qui ne veut pas disparaître et qui te la renvoie, elle : comme une gifle, un coup derrière les épaules, tes épaules de fugitive ?.. Pourquoi elle, car c’est elle hélas, la langue dans laquelle on déshérite les femmes, et ses filles en particulier ! La langue qui dévore. Dont jusqu’à maintenant la distance entre elle et toi a pu te laisser vivre au dehors : vivre sans voile ni linceul, ailleurs et au plus loin. Dire non à ces yeux ? A tes yeux, langue berbère. En son parler arabe, le père était gourd. Autour de lui on a crut que, ‘étant passé, à l’âge de sept ans, si rapidement et si aisément dans la langue des Autres (le français dit «de France»), on a cru qu’il pratiquait l’arabe sans raffinement, parfois dans une soudaine paralysie, ou en une bascule précipitée des mots, lorsque la colère, l’impatience ou une exaltation soudaine l’emportaient trop vite, sa langue, la belle langue arabe, la lugha se déchirait dans sa bouche, s’effilochait, se trouait même et cela, supposait-on, sous les coups d’éperon du français ! Ainsi, ne le tatouaient pas vraiment comme toi aujourd’hui, les yeux de la langue perdue : pas ton père ! Plutôt le saisissait comme un remord informe, mais inscrit dans son verbe, un couteau invisible en sa gorge et dont la lame, au creux de son gosier, semblait-il, se mettait à tourner ; souffrance dont il celait la racine, un mal-être… Il bégayait donc, au cours de quelque emportement, et seulement en langue arabe. Mais toi ? A l’image de ton père et de ses inhabiletés en ce parler, pareille tu étais. On disait de toi: «C’est bien la fille de son père» ; «jusque dans sa naïveté», ajoutait-on…Du moins dans la maison patricienne, celle de la mère qui y tronait chaque été, elle dépassant à peine vingt ans, et entourée toujours de ses jeunes compagnes. Tu renâclais dans la langue maternelle, du moins les trois ou quatre premières années de l’enfance. Ce jour devant la mère, alors que tu voulais obtenir d’elle sourires et complicité : elle, heureuse, dont l’éclat de bonheur t’attirait, je suppose, elle, tu la revois parmi les jeunes filles, préoccupée uniquement des histoires de sa ville (il est vrai qu’elle n’y revenait que le temps des vacances, isolée se trouvait-elle de mois entiers dans un village du Sahel)… Elle se dressait ce jour-là, rieuse, mutine, ses amies s’esclaffant en échangeant quelque secret ; or toi, son aînée : «qu’est-ce que je deviens pour elle, sans ce royaume ?»… Une pensée qui te brûlait : oui, que représentais-tu pour elle, alors ? L’année précédente, elle avait perdu, après trois jours de maladie, son premier fils, un bébé de six mois. Qu’est-ce que tu devenais, toi, la fillette ? «Que ma mère me regarde !» Tu l’apostrophais en sa langue et, dans ton débit, portée par l’émotion de devoir titrer à toi la trop jeune mère : la véhémence te nouait abruptement la langue. Tes mots improvisés butaient ; tu bégayais, tu t’enrouais. Par Assia Djebar Citer Link to post Share on other sites
Licorne 10 Posted June 14, 2012 Author Partager Posted June 14, 2012 Fadéla M'rabet,l'écrivain(e) singulier(e)... « Un magnifique exemple de réalisation personnelle » Sa grand-mère est le personnage central de son livre Une Enfance singulière. Elle écrit : « Djedda m’insuffla le courage de me libérer. Veuve très jeune, elle n’a jamais voulu donner de beau-père à ses enfants. Du moins, c’est ce qu’elle disait. En tout cas, il nous était impossible d’imaginer cette force de la nature encombrée d’un mari. A ses côtés, il n’aurait été qu’un adversaire ou un nain. » (...) « Elle m’a donné un magnifique exemple de réalisation personnelle par l’activité sociale qui fut la sienne - la plus respectée de son époque : faire venir au monde des enfants. Non pas biologiquement, ce qui est à la portée de toute femme, mais par un savoir et un savoir-faire qui faisaient d’elle une grande prêtresse, une déesse de la maternité et de la vie. (...) Et moi qui ai vécu dans le milieu médical hiérarchisé, je peux dire que Djedda a eu plus de prestige qu’un mandarin de la faculté de médecine de Paris, parce que son travail était au service de la communauté, il était gratuit et désintéressé. » ... « C’est certainement la liberté d’esprit de Djedda qui m’a également permis d’assimiler deux cultures sans déchirements : je ne me suis jamais sentie écartelée entre deux mondes. » « Toute culture authentique est universelle. » Elle nous raconte comment l’idée de ce livre lui est venue. En 1989, elle reçoit une invitation de féministes américaines qui voulaient l’inviter à un congrès international à Montréal et elles lui ont demandé de leur faire un exposé sur Simone de Beauvoir et le féminisme français. « J’ai répondu que malgré toute l’admiration que j’avais pour elle, Simone de Beauvoir n’était pas mon modèle féministe. J’ai proposé Djedda ma mémoire. Elles ont accepté. » Cette communication a débouché sur le livre Une enfance singulière... en Algérie. http://tertag.over-blog.com/article-fadela-m-rabet-l-ecrivain-singulier-101412443.html Citer Link to post Share on other sites
Guest Joud Posted June 14, 2012 Partager Posted June 14, 2012 Fadéla M'rabet,l'écrivain(e) singulier(e)... « Un magnifique exemple de réalisation personnelle » Sa grand-mère est le personnage central de son livre Une Enfance singulière. Elle écrit : « Djedda m’insuffla le courage de me libérer. Veuve très jeune, elle n’a jamais voulu donner de beau-père à ses enfants. Du moins, c’est ce qu’elle disait. En tout cas, il nous était impossible d’imaginer cette force de la nature encombrée d’un mari. A ses côtés, il n’aurait été qu’un adversaire ou un nain. » (...) « Elle m’a donné un magnifique exemple de réalisation personnelle par l’activité sociale qui fut la sienne - la plus respectée de son époque : faire venir au monde des enfants. Non pas biologiquement, ce qui est à la portée de toute femme, mais par un savoir et un savoir-faire qui faisaient d’elle une grande prêtresse, une déesse de la maternité et de la vie. (...) Et moi qui ai vécu dans le milieu médical hiérarchisé, je peux dire que Djedda a eu plus de prestige qu’un mandarin de la faculté de médecine de Paris, parce que son travail était au service de la communauté, il était gratuit et désintéressé. » ... « C’est certainement la liberté d’esprit de Djedda qui m’a également permis d’assimiler deux cultures sans déchirements : je ne me suis jamais sentie écartelée entre deux mondes. » « Toute culture authentique est universelle. » Elle nous raconte comment l’idée de ce livre lui est venue. En 1989, elle reçoit une invitation de féministes américaines qui voulaient l’inviter à un congrès international à Montréal et elles lui ont demandé de leur faire un exposé sur Simone de Beauvoir et le féminisme français. « J’ai répondu que malgré toute l’admiration que j’avais pour elle, Simone de Beauvoir n’était pas mon modèle féministe. J’ai proposé Djedda ma mémoire. Elles ont accepté. » Cette communication a débouché sur le livre Une enfance singulière... en Algérie. Fadéla M'rabet, l'écrivain singulier - Le précis des Arts et des Lettres Merci pour le partage Licorne ... Admirables , ces femmes qui vous donnent l'envie et la force de vous battre , comme elles le font merveilleusement bien ! les femmes féminines mais hargneuses , sensibles, la poésie dans l'âme, polies, respectueuses, sensuelles... Citer Link to post Share on other sites
Guest Joud Posted June 14, 2012 Partager Posted June 14, 2012 Voici un texte extrait de l'oeuvre du célèbre écrivain algérien Mouloud Feraoun, bien connu chez les collégiens et les lycéens : " La terre et le sang"...Une production littéraire de haute facture ou l'auteur fait étalage de son génie dans l'art d'argumenter, de décrire et de convaincre en s'adressant à l'entendement, à la raison , et en touchant trés profondément la sensibilité du lecteur, avec une puissance du souffle et une abondance de style propre aux grands romanciers... BONNE LECTURE Une femme courageuse : Kamouma ... Kamouma est une pauvre vieille , chargée d'années et d'expérience.Elle ne sait plus ou elle en est de sa vie.Mariée toute jeune à Kaci, elle a d'abord vécu sous l'autorité d'un rude beau-père et d'une belle mère tyrannique.Elle a eu des belles-soeurs ,filles de sa belle-mère, femmes de ses beaux -frères.La famille était nombreuse , la vie très difficile .Elle a appris à supporter et à peiner.Elle a connu l'injustice et la méchanceté; le plus souvent comme victime mais capable de rendre oeil pour oeil, tout comme une autre , à l'occasion.Elle a eu des enfants , filles ou garçcons .Elle a connu la souffrance des enfantements sans soins, les nuits de veille et de maladie, les années de privations ou de deuil.Elle a vu s'éparpiller dans le village et enfin dans le cimetière toute cette famille; ses enfants ont rejoint ses parents dans la tombe et , un beau jour, elle s'est trouvée seule. Le jour ou il ne lui resta plus que Kaci: son mari, et Amer: son plus jeune fils, la situation lui apparut très nette.C'était tout simple: il fallait élever Amer, en faire vite un homme qui put se charger de ses vieux parents.Amer fut entouré de soins, dorloté non comme enfant unique mais comme source précieuse de quiétude future,de bonheur sénile et égoiste. Kamouma et Kaci ont mal joué durant toute leur existence car le jeu de la vie exige des atouts que des gens comme eux ne peuvent avoir.Néanmoins,à force de perdre et de continuer quand meme à vivre, on finit par se convaincre de la puérilité du jeu. Qu'on meure à ce moment-là, alors tout est réglé; que l'on tienne encore quelque temps, on n'a plus le gout d'espérer, d'aimer ou de vouloir.On se laisse sombrer.C'est ce qui arriva aux parents d'Amer.Lorsqu'ils comprirent que leur dernier beau reve serait aussi vain que les autres,ils s'aperçurent que les vieux ressorts trop tendus de leur coeur se brisaient tous ensemble. Ce palais splendide,avec Amer au centre l'éclairant comme une lumière resplendissante, était une chimère.Cette chaude sécurité qui devait entourer leurs vieux jours, ce fils affectueux qui promettait de leur clore les paupières ,il fallut n'y plus songer.Amer,une fois en France, s'occupa de ses propres affaires.Il n'accepta pas le marché qui aurait consisté à disposer de lui uniquement pour eux.Ils perdaient une fois de plus.Une dernière fois.Ils n'en voulurent pas à leur fils, mais se désintéressèrent d'Amer aussi totalement qu'on se détourne d'un enjeu perdu, qui passe entre les mains de l'adversaire.Toutefois, il n'y avait plus rien à jouer... Citer Link to post Share on other sites
Licorne 10 Posted June 16, 2012 Author Partager Posted June 16, 2012 Merci Joud,nunavut pour ces extraits. Maissa Bey,l’auteure qui subjugue…. Bleu,blanc,vert « J'ai longtemps, très longtemps hésité avant d'écrire, non pas sur la guerre, mais sur ce qui m'apparaît à moi comme un questionnement fondamental : le bouleversement profond, total, irrémédiable et irrémissible que représente une guerre dans la vie de ceux qui la font, qui la subissent (directement ou indirectement) et qui en portent à jamais les séquelles, séquelles qui ne s'effacent pas avec un cessez-le-feu ou des traités ou des accords de paix. J'ai longtemps hésité parce que je ne voulais pas, qu'à l'instar de beaucoup d'écrivains de mon pays ou d'ailleurs, mon travail d'écriture soit centré sur la déploration et/ou la célébration d'un passé forcément glorieux élevé au rang de mythe qui détermine tout le devenir des générations suivantes. Et c'est peut-être plus cela qui m'a poussée à revenir sur une part de mon histoire que le désir de ne plus différer le moment de la confrontation. Il y a aussi bien entendu un cheminement individuel, une quête qui ne peut aboutir que si l'on prend le temps de rassembler tous les fragments qui constituent notre propre histoire » « Besoin de commémoration au sens de "se souvenir ensemble", d'associer le lecteur au souvenir besoin d'élucidation, d'évocation d'une histoire qui ne serait pas falsifiée ou déformée par la mémoire, par la mémoire des autres, par la mienne aussi. Parce que lorsqu'on veut convoquer les souvenirs, surtout lorsqu'il s'agit de souvenirs d'enfance, on s'aperçoit souvent qu'on a tendance à confondre ce que d'autres nous ont raconté avec ce que nous avons vraiment vécu. La prégnance des images surajoutées fait souvent obstacle à la restitution. Et c'est alors qu'intervient l'imaginaire. » Citer Link to post Share on other sites
Licorne 10 Posted June 16, 2012 Author Partager Posted June 16, 2012 Maissa Bey Et au commencement était la mer Derrière les volets fermés, l’aube a envahi la plage. Des lueurs timides se glissent dans la chambre, sur les motifs délavés des carreaux, et strient de rais plus pâles le visage de Fériel profondément endormie. Nadia s’attarde un moment à la regarder. Dans son sommeil, Fériel a repoussé le drap qui la recouvrait et ses jambes nues, dorées sur le tissu blanc, s’échappent de sa chemise de nuit relevée. Les bras écartés, le visage auréolé de boucles rebelles, elle repose dans un total abandon. Une tiédeur parfumée émane de son corps, de son souffle léger. L’odeur désarmante de l’enfance. Nadia se lève. Elle enfile ses vêtements Elle sort de la chambre. Doucement, trèsdoucement, elle tire la porte derrière elle. Sur la pointe des pieds, elle traverse le patio immobile dans le clair-obscur. Instants volés de ses rencontres secrètes avec la mer. Tout de suite, dans l’air qu’elle respire, lebonheur. Un bonheur tout rose, avec de petits nuages blancs qui courent, là-bas, au ras des collines sombres. Debout sur la première marche, elle se laissed’abord pénétrer par le flux des sensations quiaffleurent sur sa peau en un lent frissonnement. Il suffit de descendre pour retrouver la plage. Le sable sous ses pieds nus se dérobe en un picotement subtil tandis qu’elle avance sur le rivage désert aux couleurs incertaines. Devant elle, la mer encore embrumée retrouvepresque timidement ses marques, se dégage difficilement des bras de la nuit. Nadia avance. Elle salue le jour naissant comme au commencement du monde. Elle est seule. Plus seule et plus libre qu’elle ne l’a jamais été. Et elle court maintenant, les bras étendus,rêve d’oiseau qui fendrait l’espace sans que rien ni personne ne puisse le retenir. Ses cheveux dénoués volent autour d’elle, viennent gifler son visage offert. Le bas de sa jupe, mouillé par le frôlement blanc des vagues, se fait lourd, entrave sa course folle. Encore, encore un peu plus loin ! Jusqu’aux rochers ! Jusqu’aux frontières du raisonnable, là où se brisent tous les élans ! Elle ne peut pas aller plus loin. Haletante, elle se laisse tomber sur le sable que la nuit, le vent, les vagues ont de nouveau lissé.Elle se cale contre la roche inconfortable et froide. Le temps de souffler un peu. Face à la mer, des maisons aux volets clos,encore ensommeillées et silencieuses, referment l’espace. Juste assez pour qu’elle se sente protégée. De quoi, de qui a-t-elle peur ? La peur chaque matin, mais le plaisir, plus fort. Et, à pas lents désormais, elle revient vers le matin paisible. La porte tirée violemment de l’intérieur s’ouvre devant elle. Debout dans la lumière blême, Djamel, sonfrère. Il l’attendait. — D’où viens-tu ? Son visage n’est qu’une tache plus pâle dans l’ombre, mais elle voit nettement ses mâchoires si serrées que même sa voix en est contractée,presque inaudible Stupide, elle le regarde, sans répondre.Comment a-t-il pu… ? — D’où viens-tu ? répète-t-il. — Je suis descendue là… juste en bas, là sur la plage…, balbutie-t-elle, dans le même chuchote ment. Elle tremble, surprise en flagrant délit de liberté. Elle lit dans ses yeux tout ce qu’il ne dit pas,ce qu’il n’a pas besoin de dire. On ne se promène pas impunément seule sur une plage déserte desi bonne heure ! Oui. Elle le sait. C’est d’ailleurs cela qui aiguise son plaisir : le sentiment de braver un de ces nombreux interdits qui brident sa vie. Il l’écarte d’un geste brusque, pousse la porte,tourne la clé qu’il enlève. Puis il se détourne,encore frémissant d’une colère qu’il n’a pas su exprimer. Comme toujours. Debout dans l’entrée de sa chambre, elle le regarde refermer la porte sur ses silences et ses colères. Elle s’assoit dans un coin du patio et se recroqueville dans l’attente du jour. Pleine de tristesse et de lassitude, elle ferme les yeux. Au nom de quelles lois absurdes, incompréhensibles, doit-elle toujours renoncer à dire, àfaire ? Avoir toujours à l’esprit ce qui se fait, ce qui ne se fait pas. Obéir à ceux qui veulent régir sa vie : son frère, sa mère et tous les autres. Vivre sous les regards qui jugent, qui jaugent, qui agressent, qui condamnent. Des blessures incessantes qui lui donnent parfois envie de se battre,mais la laissent surtout meurtrie et vulnérable. Citer Link to post Share on other sites
Jonquille 10 Posted June 16, 2012 Partager Posted June 16, 2012 Extraits des « Années Rouges » de Leila Aslaoui Laghouat, ce n’est pas que l’établissement scolaire. C’est bien plus. Ce sont des odeurs, des parfums. C’est notre maison spacieuse et son grand jardin, ce sont les promenades à vélo, ce sont tous les amis que je n’ai pas revus depuis longtemps. Ville des jardins, ma ville adoptive, dis moi que Zehira ne dit pas vrai : tu n’as pas changé ! Non tu ne peux pas avoir changé .Ville des jardins, dis-moi que nous nous reverrons ! Ville des jardins que je n’ai pas revu depuis 1960. Septembre 1995 : un bus de voyageurs se rendant à Laghouat est intercepté par un groupe de terroristes .Femmes, hommes, enfants, nourrissons, tous sont décapités et leurs corps atrocement mutilés. Zehira, l’institutrice, Zehira mon amie d’enfance est parmi les voyageurs. Qu’a-t-elle dit à ses assassins avant qu’ils ne l’égorgent ? Zehira, comment pouvais tu croire que ton voile te protégerait d’eux ? Zehira ? toi la battante , toi que le chahid Ahmed Chetta appelait affectueusement « Zehira la terrible » ;comment pouvais-tu croire que ta longue expérience de pédagogue leur ferait entendre raison ? Zehira , comment pouvais-tu croire qu’ils pouvaient aimer ,eux qui sont nés pour haïr ? Peut être que certains parmi eux avaient été tes élèves. Tu ne leur pas appris à haïr. Ville des jardins, que t’arrive-t-il ? Tadjemout, Aflou, Sidi-Makhlouf , Ksar el Hirane Sidi Bouzid , combien de morts leur faudra-t-il pour arroser les terrasses et les jardins du sang des innocents ? Ville des jardins , toi qui m’a appris la tolérance , l’hospitalité , l’amitié, le don de soi, faut-il donc que je me fasse une raison et que j’accepte que Laghouat ma ville adoptive soit enterrée ? Je ferme les yeux, ma mémoire vagabonde de nouveau. 1960, je dois quitter Laghouat, puisqu’ il n’existe pas de lycée. Toutes mes camarades « arabes » ont quitté l’école depuis longtemps. Certaines se sont déjà mariées, les autres attendent. Zehira et moi sommes les seules à avoir réussi au B.E.P.C et à ne pas porter le voile. Cette précision peut paraître ridicule aux jeunes générations mais celles-ci doivent savoir qu’en 1950 et 1960 le combat de nos mères, femmes au foyer et voilées, était que le destin de leurs filles soit différent du leur. Il n’était pas aisé pour l’adolescente de treize ans que j’étais, grande de taille de surcroît, de traverser le centre-ville –chasse gardée des hommes- d’un petit bourg tel que Laghouat, sans cacher son visage, son corps, d’utiliser le vélo comme moyen de locomotion et rencontrer le regard culpabilisant des hommes ? Un regard qui semblait me dire : »Pourquoi veux-tu ressembler aux françaises ? » Ce n’était pas facile de relever un tel défi au moment même ou les filles de mon age quittaient l’école et attendaient sagement l’époux qui viendrait les chercher. Il me fallait coûte que coûte gagner cette bataille. Les échos qui parviennent à ma mère m’étaient favorables : « Elle est sage et sérieuse » (entendre comportement irréprochable) disaient les hommes. Je réussis à m’imposer, à ne plus avoir peur et, suprême privilège, ma conduite me valait d’être respectée. C’est la victoire. 1960, nous quittons Laghouat pour retrouver Alger ma ville natale, ma ville bien-aimée. Ma mère n’en peut plus d’être séparée de ses aînés, de sa famille. Mais en cette année 1960, nous retrouverons en vérité peu de monde. Sid-Ahmed mon frère, militant au sein de la Fédération de France est emprisonné avec ses deux camarades : Djillali et Abderrahmane Bahri en France, à Grenoble très exactement. Brillant scientifique, il a abandonné l’université ; ce n’est qu’après l’indépendance qu’il reprendra son cursus universitaire à l’Ecole polytechnique d’El-Harrach, puis à l’Ecole du Génie Rural de Paris. Il en sortira ingénieur Hydraulicien, major de sa promotion. En 1961, Fatima échappe miraculeusement à un attentat que devait perpétrer contre elle l’OAS. Grâce à des militants du FLN, elle parvient à rejoindre la France. Seul Aissa est chez mes grands-parents à Alger. Son lycée comme tous les autres a fermé ses portes. Dans la famille de ma mère, il n’y a plus que des femmes : ses sœurs, sa belle-sœur (L’épouse du chahid) et grand-mère Bedira. Elles ont quitté Bab-El-Oued , fief de l’OAS et se sont réfugiées ailleurs. Nous demeurons avec grand-mère Bedira. Et ce n’est qu’à l’indépendance que nous rejoignons notre appartement au Boulevard Mohamed V. Ce n’est qu’en 1962 que nous retrouvons les hommes de la famille. Ceux qui ont eu la chance de survivre. Je ferme les yeux de nouveau : Zehira est étendue sur une dune de sable. Le sable est rouge. Rouge comme la mare dans laquelle elle gît. Elle me dit »C’est pas juste ». J’ouvre les yeux : Laghouat est ensanglanté mais la ville des jardins ne tombera pas. Elle renaîtra. Elle renaîtra pour dire Zehira « la battante » :Elle renaîtra pour dire la résistance du chahid Ahmed Chatta ; Elle renaîtra parce qu’elle tint tête aux Pélissier,Randon,Marguerite,Belounis. Laghouat est toujours aussi belle. Laghouat n’a pas changé. Laghouat que je garde dans mon cœur est toujours aussi belle. » Citer Link to post Share on other sites
Jonquille 10 Posted June 16, 2012 Partager Posted June 16, 2012 Je ne connaissais pas cette auteure, merci jonquille. De rien nunavut. Leila Aslaoui est née à Alger en 1945. Elle partage sa vie entre l'écriture, la famille et le sport, une vie bien remplie. Apres une longue carrière dans la magistrature, elle a été ministre de la Jeunesse et des Sports (1991-1992) dans le gouvernement de Mohamed Boudiaf, puis ministre de la Solidarité nationale d'avril 1994 jusqu‘a sa démission en septembre de la même année, pour protester contre les pourparlers entre le pouvoir algérien et le front islamique du salut, officiellement dissous, Son mari a été assassiné dans son cabinet de chirurgie dentaire par des islamistes le 17 octobre 1994. Elle se bat aujourd'hui pour le respect des droits de la femme en Algérie. Citer Link to post Share on other sites
Terbhou 10 Posted June 16, 2012 Partager Posted June 16, 2012 Je suis une férue de récits autobiographiques, notamment des femmes algériennes. Donc merci Nunavut pour Mes hommes de Makeddem Extrait de Histoire de ma vie de Fadhma Ait Mansour Amrouche: « j’étais toujours restée en Kabylie, malgré les quarante années que j’ai passées en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française…… ». J'ai oublié le jardin de mon enfance avec ses tonnelles de vigne et le fort national à l'horizon avec ses tuiles rouges et ses remparts blancs. Je viens de relire cette longue histoire et je m'aperçois que j'ai oublié de dire que je suis toujours restée la kabyle : jamais, jamais, malgré les quarante ans que j'ai passé en Tunisie, malgré mon instruction, foncièrement, française, jamais, je n'ai pu me lier, intimement, ni avec des Français ni avec des Arabes. Je suis restée toujours l'éternelle exilée, celle qui jamais ne s'est sentie chez elle, nulle part. Aujourd'hui, plus que jamais, j'aspire, enfin, à être chez moi, dans mon village, au milieu de ceux de ma race, de ceux qui ont le même langage, la même mentalité, la même âme superstitieuse et candide affamée de liberté, d'indépendance, l'âme de Jugurtha. À mon fils, j'ai dédié ce cahier. Pour lui, j'ai écrit cette histoire. Pour qu'il sache que ma mère et moi avons souffert et peiné pour qu'il soit Jean Amrouche, le poète berbère." Merveilleuse autobiographie à lire absolument (je pense que dans notre histoire littéraire , c'est la première femme qui a osé dire "je" dans un écrit littéraire) Citer Link to post Share on other sites
Terbhou 10 Posted June 16, 2012 Partager Posted June 16, 2012 Et celui là que j'ai lu d'une traite. Nulle part dans la maison de mon père, Assia Djebar : ""Ce livre n'est pas une autobiographie, parce que pour moi une autobiographie est une accumulation de multiples notations sur le passé à partir desquelles l'écrivain peut relater ce que fut sa vie. Pour ma part, j'ai tiré de mon enfance et de mon adolescence uniquement les éléments qui me permettent de comprendre le sens de cette pulsion de mort qui a fondé ma vie d'adulte. Il s'agit plutôt d'une auto-analyse. Voilà ce qui s'était passé. Mon fiancé m'avait humiliée. Il avait tenu des propos déplacés, insultants. Je n'étais pas habituée à recevoir des ordres, ni de mon père ni de quiconque. C'est pourquoi j'ai vécu l'attitude tyrannique de mon fiancé comme une agression. J'ai alors couru comme une folle à travers les rues d'Alger. Je voulais m'anéantir là où la mer rencontre le ciel…" "La marcheuse est ensevelie sous la soie immaculée, elle dont on ne pourra apercevoir que les chevilles et, du visage, les yeux noirs au-dessus de la voilette d'organza tendue sur l'arrête du nez. Ma main frôle le tissus de son voile; je me sens si fière de paraître à ses côté ! Je la guide, comme on le ferait pour une idole mystérieuse : moi, son enfant, je dirai son page, ou même son garant, tandis que, s'éloignant de la demeure de sa mère, elle se dirige lentement vers une autre maison familiale" "Certes derrière la "soie" de ce silence se tapit le soi, ou le moi, qui s'écrivant peu à peu s'arrime, en se coulant dans le sillon de l'écriture, aux replis de la mémoire et à son premier ébranlement-un "soi-moi", plus anonyme, car déjà à demi effacé...." "en fait, ne m'a jamais quittée le désir de m'envoler, de me dissoudre dans l'azur ou bien au fond du gouffre béant sous mes pieds, je ne sais plus trop; Une houle demeure en moi, obsédante, faisant corps avec moi tout au long du voyage; une houle ou bien une peur, plutôt une réminiscence qui m'a insidieusement amenée à garder comme un regard intérieur, distant, mais ouvert sur quoi... ? ... .... Comme si "vivre", je veux dire "vivre pour de bon", "vivre vraiment", se jouait par une autre, votre double mais ailleurs, là-bas, derrière l'horizon!" Citer Link to post Share on other sites
Terbhou 10 Posted June 16, 2012 Partager Posted June 16, 2012 Moins connu celui là que j'ai adoré lire parce que je connais bien son auteure : Le pied de Hanane de Aicha Kassoul : «On doit déposer notre passé et présent pour aller de l'avant car on est en pleine régression» Hélas je n'ai pas trouvé des extraits plus longs que celui là. Superbe autobiographie d'une ex professeure de fac et d'une ex otage du fameux avion Alger-Paris détourné en 1994 Un lien intéressant Un autre lien intéressant Citer Link to post Share on other sites
rrroule 10 Posted June 16, 2012 Partager Posted June 16, 2012 Je suis une férue de récits autobiographiques, notamment des femmes algériennes. Donc merci Nunavut pour Mes hommes de Makeddem Extrait de Histoire de ma vie de Fadhma Ait Mansour Amrouche: « j’étais toujours restée en Kabylie, malgré les quarante années que j’ai passées en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française…… ». J'ai oublié le jardin de mon enfance avec ses tonnelles de vigne et le fort national à l'horizon avec ses tuiles rouges et ses remparts blancs. Je viens de relire cette longue histoire et je m'aperçois que j'ai oublié de dire que je suis toujours restée la kabyle : jamais, jamais, malgré les quarante ans que j'ai passé en Tunisie, malgré mon instruction, foncièrement, française, jamais, je n'ai pu me lier, intimement, ni avec des Français ni avec des Arabes. Je suis restée toujours l'éternelle exilée, celle qui jamais ne s'est sentie chez elle, nulle part. Aujourd'hui, plus que jamais, j'aspire, enfin, à être chez moi, dans mon village, au milieu de ceux de ma race, de ceux qui ont le même langage, la même mentalité, la même âme superstitieuse et candide affamée de liberté, d'indépendance, l'âme de Jugurtha. À mon fils, j'ai dédié ce cahier. Pour lui, j'ai écrit cette histoire. Pour qu'il sache que ma mère et moi avons souffert et peiné pour qu'il soit Jean Amrouche, le poète berbère." Merveilleuse autobiographie à lire absolument (je pense que dans notre histoire littéraire , c'est la première femme qui a osé dire "je" dans un écrit littéraire) Salut Terbhou ... Je continue avec l'oeuvre de la fille : "Jacinthe noire" (cet épisode a été évoqué dans Histoire de ma vie, lorsque Fadhma ath Mansour parlait du parcours de ces enfants, dont l'admission de Taos en pensionnat à Paris (études de lettres à la Sorbonne) ; les faits relatés sont les mêmes que dans Jacinthe noire ; bien que le récit (à la première personne) est mis sous la plume de Marie Thérèse! C'est clairement autoréférentiel! Jacinthe noire est par ailleurs considéré comme le premier roman maghrébin d'expression française (publié en 1947), c'est donc une oeuvre assez unique à mon sens! Extrait - Cette maison m'est insupportable, elle m'écrase. Pourquoi Paula s'entête-elle à cheminer dans la voie du prosélytisme ? quel étrange visage que le sien, faussement angélique : ce front haut, étroit d'une blancheur si lisse, si pure, et ces yeux si sage. Et puis cette lourde bouche sensuelle, ombrée de duvet fauve, cette bouche éclatante, qui déroute comme une contradiction. (Reine s'acharnait à la décrire). Non, cent fois non, c'est cette bouche qui a raison. Paula s'égare. Il lui faut une vie terrestre, généreuse, un homme et des enfants. Elle a honte de le reconnaître ... (texte choisi au hasard) Là sur le net : extrait de En marge d’un genre : Jacinthe noire de Taos Amrouche Jeux et enjeux de l’énonciation autobiographique : http://www.limag.refer.org/Maitrises/RibsteinAutobTaosAmrouche.pdf « André avait découvert, depuis peu un grand poète allemand. L’envie me vint de connaître son œuvre. Un matin de juin, je revenais de chez Claire. André semblait mieux aller. Je pouvais entrer chez un libraire. Presque personne dans la boutique. On me répond : « Nous venons de vendre le dernier exemplaire mais nous pouvons, si vous voulez, vous le commander. » J’étais navrée. Le commis me désignait, de la tête, un jeune homme qu’à peine j’avais aperçu. Il tenait un livre : celui que je convoitais. Comme j’exprimais mon regret de ne pouvoir l’avoir tout de suite, le jeune homme s’interposa et me dit avec un sourire : - Faisons comme si vous étiez arrivée la première, mademoiselle, puisque votre impatience de lire ce livre – que je connais un peu déjà – dépasse la mienne. J’étais heureuse et gênée. Le commis s’éloigne. J’arrive à bredouiller : - Je ne puis accepter sans savoir… Citer Link to post Share on other sites
Terbhou 10 Posted June 16, 2012 Partager Posted June 16, 2012 Salut Terbhou ... Je continue avec l'oeuvre de la fille : "Jacinthe noire" (cet épisode a été évoqué dans Histoire de ma vie, lorsque Fadhma ath Mansour parlait du parcours de ces enfants, dont l'admission de Taos en pensionnat à Paris (études de lettres à la Sorbonne) ; les faits relatés sont les mêmes que dans Jacinthe noire ; bien que le récit (à la première personne) est mis sous la plume de Marie Thérèse! C'est clairement autoréférentiel! Jacinthe noire est par ailleurs considéré comme le premier roman maghrébin d'expression française (publié en 1947), c'est donc une oeuvre assez unique à mon sens! Extrait - Cette maison m'est insupportable, elle m'écrase. Pourquoi Paula s'entête-elle à cheminer dans la voie du prosélytisme ? quel étrange visage que le sien, faussement angélique : ce front haut, étroit d'une blancheur si lisse, si pure, et ces yeux si sage. Et puis cette lourde bouche sensuelle, ombrée de duvet fauve, cette bouche éclatante, qui déroute comme une contradiction. (Reine s'acharnait à la décrire). Non, cent fois non, c'est cette bouche qui a raison. Paula s'égare. Il lui faut une vie terrestre, généreuse, un homme et des enfants. Elle a honte de le reconnaître ... (texte choisi au hasard) Là sur le net : extrait de En marge d’un genre : Jacinthe noire de Taos Amrouche Jeux et enjeux de l’énonciation autobiographique : http://www.limag.refer.org/Maitrises/RibsteinAutobTaosAmrouche.pdf « André avait découvert, depuis peu un grand poète allemand. L’envie me vint de connaître son œuvre. Un matin de juin, je revenais de chez Claire. André semblait mieux aller. Je pouvais entrer chez un libraire. Presque personne dans la boutique. On me répond : « Nous venons de vendre le dernier exemplaire mais nous pouvons, si vous voulez, vous le commander. » J’étais navrée. Le commis me désignait, de la tête, un jeune homme qu’à peine j’avais aperçu. Il tenait un livre : celui que je convoitais. Comme j’exprimais mon regret de ne pouvoir l’avoir tout de suite, le jeune homme s’interposa et me dit avec un sourire : - Faisons comme si vous étiez arrivée la première, mademoiselle, puisque votre impatience de lire ce livre – que je connais un peu déjà – dépasse la mienne. J’étais heureuse et gênée. Le commis s’éloigne. J’arrive à bredouiller : - Je ne puis accepter sans savoir… Allo rrroule, Merci pour cet extrait, j'ai cherché en vain ce roman que je veux absolument avoir dans ma bibliothèque. Citer Link to post Share on other sites
Licorne 10 Posted June 16, 2012 Author Partager Posted June 16, 2012 Et celui là que j'ai lu d'une traite. Nulle part dans la maison de mon père, Assia Djebar : Pareil pour moi. Citer Link to post Share on other sites
Licorne 10 Posted June 16, 2012 Author Partager Posted June 16, 2012 Je suis une férue de récits autobiographiques, notamment des femmes algériennes. Donc merci Nunavut pour Mes hommes de Makeddem Extrait de Histoire de ma vie de Fadhma Ait Mansour Amrouche: « j’étais toujours restée en Kabylie, malgré les quarante années que j’ai passées en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française…… ». J'ai oublié le jardin de mon enfance avec ses tonnelles de vigne et le fort national à l'horizon avec ses tuiles rouges et ses remparts blancs. Je viens de relire cette longue histoire et je m'aperçois que j'ai oublié de dire que je suis toujours restée la kabyle : jamais, jamais, malgré les quarante ans que j'ai passé en Tunisie, malgré mon instruction, foncièrement, française, jamais, je n'ai pu me lier, intimement, ni avec des Français ni avec des Arabes. Je suis restée toujours l'éternelle exilée, celle qui jamais ne s'est sentie chez elle, nulle part. Aujourd'hui, plus que jamais, j'aspire, enfin, à être chez moi, dans mon village, au milieu de ceux de ma race, de ceux qui ont le même langage, la même mentalité, la même âme superstitieuse et candide affamée de liberté, d'indépendance, l'âme de Jugurtha. À mon fils, j'ai dédié ce cahier. Pour lui, j'ai écrit cette histoire. Pour qu'il sache que ma mère et moi avons souffert et peiné pour qu'il soit Jean Amrouche, le poète berbère." Merveilleuse autobiographie à lire absolument (je pense que dans notre histoire littéraire , c'est la première femme qui a osé dire "je" dans un écrit littéraire) Dans son livre " Le grain magique" sa fille Marie Louise Taos Amrouche lui rend un vibrant hommage en ecrivant, entre autres, ces quelques lignes : « Pour toi, qui m’es toujours apparue comme un arbre fruitier visité par une multitude d’oiseaux chanteurs, ces légendes et ces chants, filtrés par les siècles, qui sont arrivés de bouche en bouche jusqu'à toi, et que tu m’as légués pour que je les fixe en cette langue française, presque aussi chère et familière que notre langue maternelle; ces proverbes qui intervenaient comme des images pour illustrer tes récits, et ces chants que ta voix m’a appris patiemment à chanter sur ces monodies vénérables, qui se meurent aujourd’hui au pays- même ou elles sont nées. Et, à travers toi, à notre petite Laurence qui te ressemble, qui me relaiera un jour, je l’espère, comme je te relaie, et que tu appelais en berbère, quant elle était enfant : « Petit monceau de fleurs », ou encore : « Petite écuelle », à cause de son doux visage aux proportions si justes. Avec l’espoir que notre effort que notre effort n’ait pas été vain, que l’élève n’ait pas été trop indigne du maître, et que soit entendue enfin cette parole que tu ne cesses de psalmodier en pensant à moi, cette parole que les veilles femmes de chez nous ont lancée vers le ciel, à ton intention, comme une graine de bonheur : « Va ma fille, Dieu fasse que ton soleil perce les nuages » Citer Link to post Share on other sites
Beans 10 Posted June 16, 2012 Partager Posted June 16, 2012 Merci pour le partage :-) De belles découvertes. Je sais maintenant par quelles lectures occuper les vacances... Citer Link to post Share on other sites
Licorne 10 Posted June 16, 2012 Author Partager Posted June 16, 2012 À Alger, sous le tunnel, confidences et coquetteries dans les toilettes pour dames. Sous le bruyant tunnel des Facultés qui déboule de l'avenue Pasteur sur la place Audin, Hassina reçoit telle une baronne dans son salon les confidences de ces dames prises d'un besoin pressant et qui se précipitent sur les seules toilettes publiques de la capitale, pour dames. Par Ghania Mouffok Elle a le visage qui tombe comme s'il voulait s'enfuir, fondre en larmes avec ses cheveux sombres qui pendent sur sa peau brune. Elle est soignée pourtant, et si jeune, elle dit qu'elle a vingt-six ans, enfin presque vingt-sept, pour être précise. Elle ne cache pas qu'elle a beaucoup pleuré ces derniers mois, elle a failli faire une " dépression nerveuse ”. Elle, elle voulait juste leur apprendre une nouvelle langue, comme en Grande-Bretagne, dit-elle, elle s'appliquait, elle travaillait, " matin et soir ”, elle faisait même des gestes pour qu'ils comprennent mais eux, les élèves de septième et de neuvième, ne lui accordaient " aucun respect, aucune reconnaissance ”. Enseigner, pourtant, elle aime ça, " je sais le faire ”. La preuve ? Quand elle était petite, c'est elle qui apprenait l'arabe à son père et maintenant elle lui enseigne l'anglais. Mais avec ses élèves, elle n'était plus elle-même. La nuit, elle faisait toujours le même cauchemar, ses élèves se saisissaient de son corps et le jetaient sur le lit à l'infirmerie du lycée, pour la faire soigner par l'infirmière, " ils m'ont rendu folle ”, dit-elle la bouche tremblante. Et en plus le seul homme qu'elle " aime comme beaucoup de choses ”, lui ne l'aime " que comme un ami ”. Dieu merci, elle a trouvé un autre travail dans une école privée, cinq élèves à la fois c'est mieux, sourit dans la glace en relevant sa splendide chevelure noire. Suite......TV5MONDE : À Alger, sous le tunnel, confidences et coquetteries dans les toilettes pour dames Citer Link to post Share on other sites
Guest Joud Posted June 26, 2012 Partager Posted June 26, 2012 Un très joli texte de littérature de Taous Amrouche ... Le Mot de l'éditeur : Solitude ma mère «Taos Amrouche avait une présence rayonnante, excessive comme une tragédienne antique, rires et larmes mêlés : seule sur scène, chantant a capella, elle soumettait en un instant son public à la présence charnelle de sa voix qui remplissait tout l'espace - elle a elle-même, en toute clarté, comparé l'acte de chanter à l'acte sexuel. Elle y joignait une exigence spirituelle toujours insatisfaite. Un goût pour les choses lumineuses, fleurs, fruits, une aspiration à une plénitude qui serait fusion de la chair et de l'âme. [...] Mais, plus que tout, lui importaient ses romans : pour elle, seuls ceux-ci livraient, mis en mots, tout ce qu'elle sentait vivre en elle de lumineux et de tragique.» François Maspero Née à Tunis en 1913, Taos Amrouche est la première romancière algérienne de langue française. Elle était à la fois la soeur de l'écrivain Jean Amrouche, mais également l'amie de Gide et de Giono. Dans ses quatre romans fortement autobiographiques, elle analyse son déracinement, l'exil, la solitude et exprime le besoin d'émancipation des femmes étouffées par la tradition. Taos Amrouche est morte en 1976. Solitude ma mère, son dernier roman, est resté inédit jusqu'en 1995, date à laquelle il a été édité aux Éditions Joëlle Losfeld. Extrait du livre : Maintenant, je le sais, je n'irai jamais à Sanchanteur. Luc est pour moi comme mort, plus mort même que s'il était mort de sa vraie mort. Car, mort de sa belle mort, foudroyé comme un arbre, je continuerais à le parer de tous les mérites et à vouloir le rejoindre, fût-ce en rêve... Autrefois, quand un coup me frappait, mon réflexe était d'appeler. Aujourd'hui, il n'y a personne. Je creuse la tranchée de ma solitude, je la creuse avec une application de démente : à quarante ans - et sans qu'un être au monde puisse le comprendre - je suis aussi démunie devant la vie qu'un enfant dans son berceau. Il était celui qui devait faire de moi une femme, pour que s'épanouît enfin ce bouton aux pétales si étroitement serrés qu'on le dirait de pierre. Car si j'ai connu la déchirure de l'enfantement, je ne suis pas une femme. Des hommes de tous âges et de diverses races ont eu beau m'approcher pour me prendre de force, quand je n'avais pas assez d'indifférence ou de dégoût pour être passive, je ne suis pas une femme pour autant. Une femme est douce, lisse, consentante, et je suis, moi, le fruit qui s'est refusé à mûrir, le fruit vert à l'âge où l'on ne devrait être que succulence. Que s'est-il passé ? Rien... ou si peu, en apparence. Hier encore, mon coeur était comme un brasier. Dans la rue, je m'étonnais que les passants transis ne s'en approchent pas. Aujourd'hui, je creuse ma tranchée, je la creuse en avalant mes larmes, sans relever la tête. Serais-je tombée dans le piège si Luc n'était venu m'apporter, à la clinique, une brassée d'aubépine ? Y serais-je tombée, si, dans la pâleur de sa face, il n'y avait eu ce regard d'une inquiétante profondeur ? Mais je ne savais pas alors que sa bouche si fière pût trembler... J'ai cru que ses bras seraient le nid auquel j'aspirais depuis toujours, ce nid qu'en chaque homme j'ai obstinément cherché. Luc est vivant. Luc peut ouvrir la porte, et il est pour moi comme mort, parce que je ne pourrai jamais ni le rétablir sur son trône ni surtout lui pardonner de m'avoir méconnue. Citer Link to post Share on other sites
Licorne 10 Posted February 16, 2013 Author Partager Posted February 16, 2013 Leila Marouane La vie sexuelle d'un islamiste à Paris Le titre n'est pas très racoleur mais le roman se lit d'une traite:D Mohamed, 40 ans, banquier, pieux musulman et expert en religion, a pris une décision aussi secrète qu’irrévocable : déménager de Saint-Ouen où il vit toujours avec sa mère pour Saint-Germain-des-Prés, et en finir avec l’abstinence sous toutes ses formes… Avec cette autopsie implacable de l’univers d’un homme entre deux cultures, ligoté par la religion, la famille et la mère toute-puissante, Leïla Marouane s’affirme comme la romancière la plus originale et la plus inspirée pour dépeindre les inhibitions et les tabous sexuels. Extrait Ca m'a pris d'un coup, dit-il. J'étais à mon bureau, j'écoutais à peine mon client, mon regard ne se détachait pas du Dôme qui reluisait comme un mirage derrière la baie vitrée. Tu es à Paris sans y être. Une ombre qui traverse la ville. Matin après matin. Qui retrouve la grisaille de sa banlieue. Soir après soir. Paris brille pour les autres. Tu ternis chez les tiens. Tu en es là, mon vieux. A frôler le faste sans y goûter. A exister sans existence. Je ne veux plus en être là, ai-je répété avec une frénésie telle qu'il me fallut de suite écourter le rendez-vous avec mon client. Quelques minutes plus tard, affichant le sourire du parfait capitaliste, je raccompagnais le client. J'ai prévenu mon assistante que je m'absentais, et je suis sorti. J'ai fumé une cigarette en regardant les passants, les devantures des magasins, les voitures... Puis j'ai un peu marché. Comme quelqu'un qui se dégourdit les jambes pour se vider la tête. La mienne bouillonnait, et mes pieds refusaient d'avancer. J'ai de nouveau regardé les passants, j'ai jaugé les visages, comme si j'y cherchais quelque encouragement puis, écartant toute pensée néfaste à mon projet, j'ai ordonné à mes pieds de continuer. L'instant d'après, j'étais devant l'agence immobilière située à quelques mètres de la banque où je venais d'être affecté, rue de Sèvres. J'ai examiné la liste des locations, puis quelques photos des intérieurs, enfin les loyers, des prix à quatre chiffres, à vous en couper le souffle. Mais j'étais prêt à tout. J'ai repéré un deux-trois pièces rue Saint-Placide, et j'ai poussé la porte de l'agence. C'était le 23 juin 2006, l'avant-dernier vendredi du mois. Au sortir de l'agence, alors qu'une brise balayait la ville, des coulées de sueur mouillaient ma chemise. (...) Avec grâce et pondération – ses yeux, ses lèvres, son nez tantôt dépréciés s’en embellissaient –, elle avait évoqué sa vie d’autrefois, à Alger. Puis les circonstances, voilà dix ans, qui l’avaient poussée à partir – la peur, l’arbitraire, le sang, avait-elle énoncé. Sans emphase et sans pathos. Cessant brusquement de parler d’elle, elle a commencé à s’intéresser à moi. Ce que je faisais dans la vie, où j’habitais… Tout comme je ne savais pas pourquoi elle m’émouvait, moi qui avais décidé de ne prendre mon pied qu’avec des Blanches – n’en déplaise à mon cousin –, je ne sais pas pourquoi j’ai omis de parler de Saint- Ouen. J’ai prétendu avoir toujours vécu dans les environs, entre le 7e et le 6e arrondissement, et laissé planer une ambiguïté sur la date réelle de mon arrivée en France. Je lui ai juste dit que je venais de Blida. Elle a dit : – Oh, la ville des Roses et de Jean Bensaïd alias Jean Daniel. Maintenant hélas la capitale du triangle de la Mort. Citer Link to post Share on other sites
Beans 10 Posted March 4, 2013 Partager Posted March 4, 2013 Le fils du pauvre, Mouloud Feraoun « Je ne sus le nom de chacune de mes tantes qu’après les avoir bien connues elles-mêmes. Le nom ne signifiait rien. C’était comme pour mes parents. Je me rappelle avoir appris avec une surprise amusée, de la bouche de ma petite cousine, que son père s’appelait Lounis, le mien Ramdane, ma mère Fatma, la sienne Helima. Je compris tout de suite, cependant, que c’étaient les autres qui les désignaient ainsi et que dans la famille nous avions des mots plus doux qui n’appartenaient qu’à nous. Pour moi, mes tantes s’appelaient Khalti et Nana. » J'imagine qu'il fait aujourd'hui partie des classiques, mais je ne l'ai découvert que récemment enfin on me l'a fait découvrir. :o 5 Citer Link to post Share on other sites
Terbhou 10 Posted March 5, 2013 Partager Posted March 5, 2013 Le fils du pauvre, Mouloud Feraoun « Je ne sus le nom de chacune de mes tantes qu’après les avoir bien connues elles-mêmes. Le nom ne signifiait rien. C’était comme pour mes parents. Je me rappelle avoir appris avec une surprise amusée, de la bouche de ma petite cousine, que son père s’appelait Lounis, le mien Ramdane, ma mère Fatma, la sienne Helima. Je compris tout de suite, cependant, que c’étaient les autres qui les désignaient ainsi et que dans la famille nous avions des mots plus doux qui n’appartenaient qu’à nous. Pour moi, mes tantes s’appelaient Khalti et Nana. » J'imagine qu'il fait aujourd'hui partie des classiques, mais je ne l'ai découvert que récemment enfin on me l'a fait découvrir. :o 5 Oui un classique! Je te rassure, je l'ai lu sur le tard aussi, lorsque j'étais étudiante... Je garde en mémoire un passage, quand sa tante accouchait de son premier enfant (il me semble) et qu'elle est morte en couches "donner la vie devait se terminer dans la mort" J'espère que je ne confonds pas avec La terre et le sang :crazy: Citer Link to post Share on other sites
bizou 10 Posted March 5, 2013 Partager Posted March 5, 2013 et que dans la famille nous avions des mots plus doux qui n’appartenaient qu’à nous. que c'est beau, et je peux en rajouter " et dans nos cœurs aussi " Citer Link to post Share on other sites
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