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Deir Yassin, 60 ans après


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Deir Yassin, 60 ans après

Dominique Ballereau (Site AFPS)

 

 

Commémoration du massacre de Deir Yassin sur les lieux-mêmes de la tragédie, soixante ans après (10 avril 2008)

Le massacre de Deir Yassin, le 9 avril 1948, fut l’un des plus hauts faits terroristes de la communauté juive de Palestine (le Yichouv) contre la population arabe locale. Ces actes barbares avaient pour but de provoquer l’un des premiers nettoyages ethniques de l’après-guerre.

 

La veille du massacre, le chef militaire palestinien Abdel Kader al-Husseini meurt au cours de la bataille du Castel, sur la route reliant Tel Aviv à Jérusalem. Les combattants arabes sont démoralisés et se replient de la région. Deir Yassin, petit village musulman proche du lieu de la bataille, est livré à lui-même.

 

Le 9 avril au matin, deux bandes armées juives, l’Irgoun et le Lehi, attaquent le village, mais face à la résistance de ses défenseurs palestiniens, des éléments de la Haganah et du Palmach prêtent main forte aux assaillants et achèvent sa conquête. Les deux groupes terroristes juifs attaquent alors la population civile sans défense et laissent plus de 100 victimes sur le terrain.

 

L’histoire de six dames âgées et d’un vieux monsieur

 

Ce 10 avril 2008 à 16 heures, nous nous retrouvons dans le quartier de Givat Shaul, à quelques kilomètres à l’ouest de Jérusalem. Le rendez-vous a été fixé au croisement des rues Kanfei Nesharim et Azulay. La commémoration du massacre de Deir Yassin est une initiative de l’association israélienne des droits de l’homme « Zochrot » (souvenir en hébreu) et de « Deir Yassin Remembered », une organisation américaine pour le souvenir. Les militants de Zochrot portent des tee-shirts noirs marqués du nom de leur association, en arabe, en hébreu et en anglais. Autour de nous, des journalistes interrogent les militants, filment le regroupement. Une horde de soldats et de policiers, parfois en armes, nous entourent, et retransmettent en direct nos faits et gestes.

 

A l’écart et assis dans un minibus, six dames âgées et un vieux monsieur, tous palestiniens, attendent que le cortège démarre. Ils ont entre 70 et 80 ans, et sont parmi les derniers témoins de la tragédie de Deir Yassin. Zochrot les a invités à participer à cette marche du souvenir, et leurs témoignages seront essentiels.

 

Omar est un sympathique Palestinien d’Israël, la quarantaine sportive et énergique. Il mène le cortège jusqu’au village martyre, en alternant interviews des 7 témoins palestiniens et haltes de recueillement devant les ruines aujourd’hui abandonnées dans les herbes folles. Eitan Bronstein, le Directeur de Zochrot, parlemente avec la police pour un bon déroulement de la marche. Il distribue pancartes, panneaux et banderoles.

 

Il y a de nombreux Israéliens, souvent jeunes, des étrangers. J’ai noté la présence de 4 Français de l’AFPS-Rouen. Trois panneaux portent les noms de la centaine de victimes, écrits en arabe et en hébreu. Bientôt les 7 invités palestiniens nous rejoignent et le groupe d’une soixantaine de personnes commence sa lente marche. Nous traversons la rue Kanfei Nesharim puis la suivons sur la gauche sur environ deux kilomètres.

 

Omar et le vieux monsieur palestinien se tiennent par la main. Il s’appelle Abdelkader Zidane. De sa main libre, et pendant qu’ils marchent lentement, Omar tient un micro devant la bouche de son compagnon. Celui-ci raconte, la voix éteinte et hésitante, ce que fut le calvaire de son village tandis qu’Omar traduit ses paroles en hébreu. Pour moi, qui ne comprends aucune de ces langues, je demande aux jeunes Israéliens présents de me délivrer quelques bribes de traduction en anglais, ce qu’ils font avec dévouement.

 

Les passants israéliens qui nous croisent lisent attentivement les panneaux et banderoles. Si la plupart repartent sans commentaire, d’autres abreuvent les organisateurs israéliens d’insultes : « quand les Arabe seront une majorité dans notre pays, que diras-tu ?... » Nos amis israéliens ne répondent pas à ces propos racistes.

 

Au bout d’une heure de marche, apparaît sur notre gauche un vaste terrain vague où nous observons un chaos de blocs détruits au milieu d’une végétation à l’abandon. Avec sa canne, Abdelkader nous montre les anciennes maisons, une à une. « Ici habitait… » Les caméras de télévision tournent pratiquement en continu. Les 6 dames, timides, hésitent à répondre. Puis peu à peu, leurs langues se délient. Dans des sanglots à peine retenus, elles racontent les cauchemars de enfance.

 

Nous poursuivons la marche puis tournons sur notre gauche, rue Katsenelenbogen, en longeant sur son côté perpendiculaire le terrain vague précédent. Des automobilistes furieux nous claxonnent, mais nos policiers leur font signe de se calmer. Au bout de 100 mètres, nous trouvons sur notre droite les restes du village de Deir Yassin, aujourd’hui transformé en asile psychiatrique. L’entrée est barrée par une porte mobile, et nous ne rentrerons pas sur le site sacré. Deux gardiens nous observent d’un air rigolard. Ils ont parfaitement compris l’objet de notre visite.

 

Puis nous longeons le village, entouré d’une haie métallique parallèle à la rue. Nous remarquons de vieux murs délabrés, immédiatement identifiés par Abdelkader. Au bout de 300 mètres, la haie se sépare de la rue et se dirige vers une petite colline, qui domine des terrains de sport où jouent des adolescents. Arrivés au sommet, nous faisons une longue halte qui nous permettra de dialoguer avec nos invités palestiniens.

 

Les trois panneaux couverts des noms des martyrs de Deir Yassin sont posés contre la haie, et chacun s’écarte pour former un demi cercle. Les 6 dames aux regards absents, belles dans leurs longues robes, s’en approchent et, lentement, lisent les noms un à un. Des doigts se tendent vers un nom, puis un autre. « C’était ma mère, mon père, mon frêre, ma soeur… » Le silence est chargé d’émotion et de dignité. L’une des dames tombe en sanglots, aussitôt entourée et réconfortée par ses amies. Soixante ans de deuil et de douleur remontent à la surface, et nous souffrons tous avec elles.

 

Puis Abdelkader nous raconte les événements du 9 avril 1948 avec une étonnante mémoire. Membre de la garde armée qui protégeait le village, il a fait le coup de feu contre ceux qui voulaient les anéantir. Après la tuerie, les Palestiniens rescapés partent pour des camps de réfugiés. L’une des Palestiniennes vit aujourd’hui dans un camp proche de Jérusalem, mais on veut l’expulser une nouvelle fois pour construire une route. Le long dialogue entre Omar et son compagnon se poursuit, riche en récits de première main.

 

Bientôt, il faut nous résoudre à clore la cérémonie. Nos 7 amis palestiniens nous remercient du fond du cœur. Fatma, l’une des six dames, s’approche de moi, me prend par le bras et me dit : « choukrane ». Ce geste restera précieux pour moi. Abdelkader a droit à la conclusion : « Nothing but memory ». Le groupe se fragmente, les caméras se rangent, les voitures démarrent et la colline est rendue à ses promeneurs habituels alors que le soleil décline sur l’horizon.

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