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LUTTE ANTITERRORISTE: L'Algérie à la recherche de sa sécurité


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Par Mohamed Khalfaoui - Lundi 06 Aout 2012

 

«Terrorisme et crime transnational», est le thème de la réunion ministérielle qui regroupera aujourd'hui dans la capitale nigérienne, Niamey, les ministres des Affaires étrangères des pays du champ, dont le ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel. La situation au Mali, la coordination entre les pays membres en matière de lutte antiterroriste, figurent au menu de la rencontre. Pour comprendre les enjeux de cette réunion, nous vous proposons une étude détaillée de la situation.

 

Beaucoup de discours sont tenus en Afrique et en Europe à l'effet de convaincre de la nécessité d'une option militaire en réponse à l'anarchie que vit le nord de notre voisin le Mali. L'Algérie, forte d'une expérience de cent trente ans de guerres dissymétriques impitoyables et une décennie de lutte antiterroriste tout au long de laquelle horreur, cruauté et dégâts de tout genre s'alternaient, oppose à ces forces sous-régionales et extrarégionales un discours contradictoire, convaincue qu'une telle option ne peut être envisageable que face à l'échec du politique, option confortée par la complexité du terrain et en conformité avec les conclusions des illustres chefs et théoriciens militaires tels que Sun Tzu, Thucydide, CV. Clausewitz... Mais l'Occident, sous la houlette de la France, semble la vouloir, tout comme la dynastie Bush l'avait imposée à l'Irak, certainement pas pour les mêmes raisons. Pourtant, il est établi que dans ce type de conflit, la stratégie alternative est le traitement de première intention. En effet, la mobilisation de l'ensemble des moyens diplomatiques, financiers, économiques, judiciaires, policiers et cultuels pour le cas présent, est la stratégie de «l'excellence suprême» pour faire face à des rébellions par définition asymétriques. Les forces armées ne peuvent être qu'une option contre ce type de conflit où une victoire classique, absolue est une fiction alors que le risque d'enlisement est fortement présent.Au fil des jours, la situation au Mali se dégrade, les groupes armés se renforcent et les communautés régionales concernées émettent des signes d'impatience. Pendant que Bamako est tenu de résoudre la principale difficulté du moment: la légitimité constitutionnelle, Alger est implicitement sommée de convaincre au risque de perdre l'initiative.

 

La guerre au Mali

 

L'immense espace hostile qu'est le nord du Mali, se trouve occupé depuis le mois de mars par un condensé de mouvements belliqueux dont il faudra délier les relations, identifier les zones d'influence et les filières d'armement avant tout engagement militaire. Combattre des insurgés consiste avant tout à éviter de se faire plus d'ennemis. Trafiquants en tout genre, mouvements revendicatifs à travers le MNLA, mouvements subversifs tels que Ansar Eddine, Aqmi, Mujao, tous acteurs asymétriques avec des objectifs divergents ou simplement des missions transfrontalières complémentaires défient ce qui reste de l'Etat malien. Face à cette armada aguerrie aux exigences du désert, une armée nationale disloquée depuis le putsch du 22 mars 2012. Si les barons du trafic illicite puisent leur force de la corruption des appuis des pouvoirs centraux pour sévir le long des frontières, la lutte armée est, pour les mouvements revendicatifs, la voie en vue de soumettre les décideurs aux négociations. Les mouvements subversifs usent, de manière générale, de tous les moyens pour imposer leurs idéologies, sans concession. Pour le cas du Mali, ces mouvements exigent, avec les armes comme argument, un ordre religieux. De toute évidence, le traitement de Ansar Eddine et du MNLA est à la discrétion ou sous l'autorité du Mali souverain. Aqmi, le Mujao et les trafiquants, s'inscrivent dans le terrorisme international ou dans le crime transfrontalier et relèvent donc au moins des pays du champ bien que cette organisation ne semble pas convaincre.

 

Y a-t-il possibilité de réponse purement militaire dans l'immédiat?

 

L'histoire des cinquante dernières années retient des nombreux conflits asymétriques, la violence aveugle en particulier lorsque des armées étrangères imposent le combat par les armes s'octroyant la légitimité de la violence, droit sacré de l'Etat qui ne peut être délégué, même si elle est fondée sur le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, d'une part, et les difficultés à maintenir la paix quand les protagonistes rejettent le compromis, cas des rebellions à caractère idéologique ou religieux d'autre part. Les interventions en Somalie, au Rwanda, la guerre afghane, le cas du Soudan et celui du Nigeria... illustrent l'échec de telles tentatives. Le théâtre des opérations malien trouve, sur les plans militaire et idéologique, des similitudes évidentes avec les cas sus cités, que la fragilité ou l'absence des institutions de l'Etat rend encore plus inquiétantes. L'intervention de la Cédéao, certainement souhaitée, ne peut être avalisée avant le montage des organes de la transition annoncés par le président par intérim, Dioncounda. La Cédéao devra attendre alors les conclusions des pourparlers menés par le Haut conseil islamique avec Ansar Eddine à Gao et le règlement des revendications du MNLA par le médiateur à Ouagadougou avant tout engagement militaire dans le Nord. La satisfaction de cette dernière condition ou l'implication de l'Algérie dans son traitement faciliterait la coordination entre ce qui reste des pays du champ (Algérie - Mauritanie) et la Cédéao et rendrait plus visibles les soutiens à la Micema (Mission de la Cédéao au Mali). Cette coopération de l'Algérie, conforme dans son but à la mission des pays du champ, pourrait s'inscrire dans les actions préventives. Il est cependant clair que dans les conditions actuelles du Mali, gagner la guerre n'assure ni la stabilité ni la satisfaction des revendications, par contre, celle-ci peut se prolonger vers les pays voisins ou perdurer jusqu'à donner raison à Aqmi. Nonobstant ces réserves, l'intervention militaire est multiforme et les schémas classiques sont connus. Dans un conflit qui, comme partout ailleurs, sera long, épuisant et ne se terminera jamais par une victoire totale, le bon fonctionnement des coalitions - partage des risques, niveau d'interopérabilité et d'équipement, degré de préparation et partage des coûts des opérations - sera le souci opérationnel. L'enjeu étant de parvenir à gagner le soutien des populations tout en menant des actions militaires, des mesures de sécurisation globale comprenant aussi bien le volet sécuritaire - occupation du terrain et présence de l'administration - que socio-économique en direction des habitants qui auront à vivre ce sentiment d'insécurité, seront déterminantes. Dans tous les cas de figure, les moyens de renseignement technique ne relèvent ni de la Cédéao ni des pays du champ, la maîtrise et le coût des opérations décisives pourraient leur échapper. Le soutien de l'UE et l'implication de l'ancienne puissance coloniale, la France qui préside le Conseil de sécurité, pourraient cependant, apaiser les soucis de la Cédéao. La tactique est de circonscrire la menace au territoire algérien, dans un premier temps. Il est par ailleurs certain qu'aucune des options, militaire ou politique, ne peut être durable si des dispositions juridiques et disciplinaires ne sont prises à l'encontre des putschistes responsables du chaos constitutionnel et condamnés par la communauté internationale, y compris la Cédéao. Car toute tentative de convaincre les rebelles touareg pour leur intégration dans les rangs d'une armée encadrée par Sanogo et ses acolytes serait vaine, tout montage d'une milice targuie en appui à la Micéma serait malaisé. De même, on ne peut imaginer une intervention militaire au nord sans l'adhésion des populations de l'Azawad. Enfin, une option de confrontation Sud avec l'appui de l'ancienne puissance coloniale face au Nord, pourrait conforter le MNLA dans ses revendications séparatistes. L'histoire est têtue. La complexité de la crise malienne et les approches proposées pour son dénouement laissent présager d'une menace tentaculaire qui pourrait figurer dans le prolongement des évènements arabes. En effet, à observer l'évolution des stratégies de lutte antiterroriste occidentales, trois modes d'action ont été mis successivement à épreuve. En premier, l'occupation brutale et autres interventions militaires directes, dangereuse en ce qu'elle entraîne une logique de guerre et des risques de surenchère, n'a jamais été concluante. L'Irak, l'Afghanistan et la Somalie montrent les limites de cette stratégie de règlement des conflits. «Gagner la guerre» ne présage donc ni d'une paix immédiate ni d'une stabilité future. Le 6 février 2002, le ministre français des Affaires étrangères de l'époque, Hubert Védrine, dénonçait la méthode américaine pour le rétablissement de la paix: «Nous sommes menacés aujourd'hui d'un nouveau simplisme (sic) qui est de ramener tous les problèmes du monde à la seule lutte contre le terrorisme. Ce n'est pas sérieux. [...] Nous devons nous attaquer aux situations de pauvreté, d'injustice, d'humiliation, etc.». Tout en mettant en exergue la vision réductrice des USA, effectivement trop simpliste, le ministre français attira l'attention sur la divergence des approches UE-US sur le sujet. Une année après, la National Strategy for Combating Terrorism annonce l'alignement des USA sur l'Europe en ce qui concerne les stratégies de lutte préventives: «Les efforts américains actuels visant à résoudre les conflits régionaux favorisent le développement économique, social et politique, les économies de marché, une gouvernance correcte et l'Etat de droit, sans pour autant se concentrer sur la lutte contre le terrorisme. Ces efforts contribuent également à la campagne [antiterroriste] en évoquant des conditions sous-jacentes que recherchent souvent les terroristes pour les utiliser à leur avantage à des fins manipulatrices...». Avec cette nouvelle option de règlement des conflits, on espérait le soutien des projets d'intégration dans les pays du Sahel, mais la logique des puissants dite «pragmatisme» ne s'accommode pas d'humanisme. Des dons promis à la Somalie en 2005, seul le quart a été remis; le Mali n'a pu honorer ses engagements vis-à-vis de la rébellion pour insuffisance d'investissement... alors que les bailleurs de fonds savent pertinemment qu'aucune opération militaire ni plans de paix ne parviendront à sécuriser durablement les pays du Sahel s'ils ne sont pas accompagnés d'un processus de développement minimal, de construction d'un Etat viable, doté d'une administration contrôlant effectivement les zones urbaines et rurales jusqu'à ses frontières. La réalité contredit donc les discours et les approches de lutte antiterroriste se comprennent évidemment selon les intérêts des puissants. Face à l'insécurité qui s'installait en Occident contre laquelle la puissance de ses armées a cessé d'être dissuasive, différentes études furent initiées pour une réévaluation de la stratégie de lutte contre le terrorisme. Les experts conclurent: «Les États forts et autoritaires comptant des majorités musulmanes et accusant des lacunes en matière de démocratie et de responsabilité des gouvernements (accountability), sont peut-être les véritables viviers du terrorisme international. Les terroristes s'opposent à ce qu'ils considèrent comme autoritaire et profane dans leurs propres pays, et considèrent que leurs dirigeants sont corrompus par les influences occidentales. Ils estiment que seul l'établissement d'États islamiques peut permettre à ces pays de se remettre dans le droit chemin et de retrouver leur gloire passée.» (1)

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suite

 

Il est aisé de constater que depuis la fin de la Guerre froide et l'avènement de la globalisation, le mode opératoire des dictatures est dénoncé: «Dans ces pays, la colère se trouve dirigée à l'encontre des États-Unis et de certains pays occidentaux. Nombre de musulmans nourrissent de la rancoeur contre leur propre gouvernement, mais sont incapables d'exprimer leur colère d'une manière constructive et de susciter ainsi des changements. Il est donc beaucoup plus aisé de canaliser cette colère contre les États-Unis et d'autres pays développés qui soutiennent leurs dirigeants «élitistes» et non représentatifs». Ces études recommandent en conclusion le retrait de confiance aux dictateurs sommés de procéder à des réformes politiques, essentiellement. Désormais, la stratégie de lutte antiterroriste est de travailler, non plus contre le terrorisme en soi, mais à répondre à ce qui est appelé l'«environnement favorable» ou la «société complice», autre mode d'action. Tout acte terroriste est alors assimilé à un «casus belli» contre lequel la force de frappe occidentale pourrait aisément s'exprimer, stratégie adoptée contre le Liban en 2006, lorsque l'armée israélienne, après 34 jours de combat, délogea le Hizbollah exigeant, à sa place, le déploiement immédiat de l'armée libanaise. L'Etat libanais est désormais responsable de tout ce qui peut nuire à la sécurité des frontières Nord d'Israël. Les événements arabes pourraient s'inscrire aussi dans cette nouvelle vision occidentale de la lutte antiterroriste pour les années à venir.

 

Quelle riposte algérienne?

 

Ces derniers temps, une dynamique particulière de réunions et convocation de partenaires en matière de sécurité anime notre MAE. En effet, sur le plan politique, «l'Algérie avait pris l'initiative d'appeler à la tenue d'une réunion à Alger des ministres maghrébins des AE pour traiter des questions de sécurité», annonce le ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, A. Messahel. Une autre réunion des MAE des pays du champ se tiendra à Niamey le 06/08/2012 pour le même objet.

 

La première est jugée formelle par le Premier ministre marocain tant que les frontières restent fermées. La seconde est tout aussi formelle que la première compte tenu du manque de conviction déclaré de certains membres de l'organisation des pays du champ, des fissurations continues qui la déchirent et de l'appartenance du Niger et du Mali à la Cédéao. Les déclarations du porte-parole de l'UE, Michael Mann, rapportées par l'AFP du 01/08/2012, selon lesquelles «... une mission au Niger pour la formation des forces policières est installée.

 

L'UE va dépenser 8,7 millions d'euros pour la première année et nous allons envoyer 80 personnes au Niger pour aider à combattre le terrorisme. C'est une nouvelle mission de l'UE et à l'avenir il y a aussi la possibilité qu'on pourrait élargir cette mission au Mali et à la Mauritanie», attestent sinon d'un isolement de l'Algérie dans la gestion des conflits au Sahel, du moins de sa mise à l'écart momentanée. Quelle est la raison d'être de l'organisation des pays du champ maintenant que ses missions sont assurées par l'UE... à la demande d'un de ses membres?

 

Dans la foulée de ce qui s'apparente à un rappel de la troupe, l'argent est mis à contribution. Alger procède à l'effacement de la dette pour dix pays du Sahel (El Watan du 30/07/2012). Sur le plan militaire, les chefs des armées des quatre pays membres du Cémoc se sont retrouvés le 11/07/2012 à Nouakchott, en Mauritanie, pour faire le point sur la situation sécuritaire au Sahel et renforcer les capacités opérationnelles du Cémoc. C'est comme si l'Algérie vient de constater soudainement sa vulnérabilité. Les actions politiques, militaires et financières entreprises peuvent révéler la mise en oeuvre, dans la panique, d'une stratégie défensive ou d'une fuite en avant au moment où les étapes de l'intervention au Mali se précisent et que le compte à rebours a commencé.

 

Au sud, le président Dioncounda Traoré, dès son retour de Paris, annonça sa démarche de rétablissement de l'ordre au nord. Il assurera lui-même «les consultations conduisant à la formation d'un Gouvernement d'Union nationale et propose une Commission nationale aux négociations (CNN): conforme au souhait des chefs d'Etat de la Cédéao formulé au point 18 du communiqué final de la deuxième réunion du groupe de contact sur le Mali. Cette commission sera chargée d'engager avec les mouvements armés du nord du Mali des pourparlers de paix en relation avec le médiateur de la Cédéao afin de rechercher par le dialogue, des solutions politiques négociées à la crise».

Plan d'action très significatif pour l'Algérie. La Micéma n'attend plus que la demande du pouvoir malien pour intervenir et la France, tenue par des accords stratégiques envers les pays de la Francophonie, promet de convaincre le Conseil de sécurité qu'elle préside, de la nécessité d'une intervention militaire dans l'Azawad.

 

Manoeuvre suggestive à l'adresse des groupes terroristes ou opération fortement dissuasive pour mettre en exergue le Rubicon, dans les deux cas, l'Algérie aura à veiller à l'étanchéité de ses frontières et de ce fait se trouvera impliquée dans la lutte dont le risque majeur est de voir le champ des opérations se déplacer vers le territoire national. Machiavel ne conseillait-il pas à son prince «Ce qu'on ne peut empêcher, il faut le vouloir»?

 

L'Expression - Le Quotidien - L'Algérie à la recherche de sa sécurité

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