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L'Algérie kabylisée.


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L'Algérie kabylisée par Jean Morizot — Cahiers de l'Afrique et de l'Asie VI, Paris 1962

 

Ancien administrateur des Services civils de l'Algérie M. Morizot , considère qu'il y avait dans ce pays au xix" siècle, deux sociétés fort différentes. D'une part une Algérie nomade, arabe, vivant de ses troupeaux et de quelques cultures de céréales, prépondérante jusqu'en 1830. D'autre part une Algérie paysanne et montagnarde, berbère, repliée sur elle-même et menacée d'asphyxie dans ses villages déjà surpeuplés. La première, vaincue par les Français, ne s'est jamais reprise; elle s'est peu à peu désagrégée et ne joue plus aucun rôle aujourd'hui. La seconde a été favorisée par la paix française qui lui a offert en Algérie d'abord, en France ensuite, un champ d'expansion à la mesure de son dynamisme démographique et de ses ambitions. C'est cette lente ascension des sociétés berbères durant l'ère coloniale que l'auteur décrit ici, afin d'expliquer leur emprise sur l'Algérie nationaliste et indépendante. En fait, ni les Mzabites, ni les paysans de l'Aurès ne sont étudiés, mais seulement les communautés villageoises kabyles, et plus particulièrement en Grande Kabylie, celles du pays Zouaoua. Analysant l'économie ancienne de ces villages, l'auteur insiste sur la présence d'une chênaie à glands doux dont le rôle est comparé à celui des châtaigneraies de l'Europe méditerranéenne. Il souligne la médiocrité des ressources agricoles, la faiblesse de l'élevage et, déjà, l'importance des activités complémentaires : artisanat et surtout colportage à travers toute l'Algérie. Plus que cette pauvre économie, ce sont les institutions sociales qui ont fortifié les communautés kabyles. Chaque village constituait une unité politique indépendante, dirigée par la djemaa où les anciens jouaient un rôle prépondérant. Par son intermédiaire et aussi à travers la famille kabyle, la collectivité exerçait sur chaque individu une forte emprise. Le compte rendu d'une séance de la djemaa d'un village, figurant en appendice, est très significatif. Les migrants eux-mêmes n'échappaient pas à cette contrainte. Ils partaient seuls et laissaient femmes et enfants à la charge et sous la surveillance du village. En pays étranger ils se retrouvaient, se regroupaient selon leur origine et se soutenaient, matériellement et moralement. De cette façon le village favorisait l'émigration — indispensable à sa survie — mais l'empêchait de devenir définitive pour ne pas perdre ses forces vives, les migrants se recrutant parmi les jeunes. Ces structures et ces mentalités sont comparées à celles des montagnes du bassin méditerranéen et l'auteur en conclut, qu'au temps de la conquête, ces sociétés, chrétiennes ou musulmanes, avaient un niveau de vie et un degré de civilisation assez peu différents.

Puis on passe à l'évolution de ces communautés durant la période coloniale. Seule l'Algérie nomade et semi-nomade a été touchée par la colonisation. Les pays kabyles, accidentés et surpeuplés, n'ont guère été entamés et les sociétés villageoises s'y sont maintenues, d'autant plus que l'émigration a pu se développer largement.

Dans cette évolution, il faut distinguer plusieurs périodes. De 1830 à 1880, les Kabyles sont les seuls indigènes acceptant et recherchant du travail dans les centres de colonisation et les villes. Ils perçoivent alors des salaires élevés pour l'époque, ce qui expliquerait le paiement rapide de la contribution de guerre imposée par de Gueydon après la révolte de 1871. De 1880 à 1920, l'accroissement de la population musulmane, la ruine de l'artisanat local entraînent une abondance de la main-d'œuvre et une baisse des salaires sur le marché algérien du travail : le sous- emploi apparaît. Les Kabyles prennent alors le chemin de la métropole, ils y sont colporteurs, puis ouvriers dans les usines du Nord et de la région parisienne. La première guerre accélère ce mouvement. De 1920 à 1946, les pasteurs céréaliculteurs abandonnent en grand nombre leur mode de vie antérieur et cherchent à s'embaucher comme ouvriers agricoles, les salaires continuent à baisser : en 1914, il fallait 10 journées de travail à un journalier pour gagner un quintal de blé, en 1944, il lui en faut 15 à 20. Plutôt que dans l'agriculture, les Kabyles cherchent du travail dans les mines, les ports, les usines; beaucoup deviennent aussi commerçants ou employés des administrations. L'émigration vers la métropole se développe considérablement. Dans la période récente (1946-1960) malgré les réformes politiques et les mesures économiques, l'appauvrissement des masses musulmanes entraîne un déséquilibre foncier dangereux : ainsi à Lapasset (arrondissement de Cassaigne) les colons avaient reçu à l'origine un périmètre de colonisation de 1 000 ha, ils en possédaient 3 500 en 1946, tandis que sur 1 105 familles musulmanes, 403 ne possédaient plus rien et 169 avaient moins de 20 ares chacune. L'émigration transméditerranéenne intéresse alors pour 50 % de ses effectifs, des gens originaires des régions de colonisation, des hautes plaines notamment, où la culture mécanisée des céréales se généralise. C'est en ce sens que l'Algérie s'est kabylisée : les Algériens n'ont pu subsister qu'en quittant la terre natale comme les Kabyles le faisaient depuis longtemps. L'émigration généralisée rend les économies régionales étroitement dépendantes des gains réalisés au dehors.

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