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Hervé Bourges : «L’Algérie indépendante n’en est qu’à ses premiers pas…»


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- Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à un documentaire consacré entièrement à l’Algérie indépendante et aux Algériens, quand d’autres n’ont fait que raconter la guerre en évoquant ses suites ?

 

Comme vous le soulignez, aucun film ni en Algérie ni en France n’avait encore été produit sur cette période 1962-2012. Mon ambition a été de m’inscrire dans une première démarche historique et patrimoniale pour l’Algérie, avec l’intention de montrer, raconter, interroger, confronter, en m’interdisant de juger. C’est l’histoire du pouvoir en Algérie, depuis l’indépendance, conquête historique inestimable du peuple algérien. Il m’a semblé utile de permettre, notamment aux jeunes générations, en Algérie et en France, de mieux appréhender ces cinquante premières années de l’Algérie algérienne. Durée infime au regard des 23 siècles de son histoire qui ont vu Berbères, Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, Almoravides, Arabes, Turcs et Français se disputer cette terre d’exception. Et l’Algérie indépendante n’en est qu’à ses premiers pas dans un monde en plein bouleversement. Toute comparaison mise à part, je rappelle souvent que la Révolution française de 1789 a été suivie par la terreur, la restauration, deux contre-révolutions impériales, des massacres et qu’il a fallu près d’un siècle pour proclamer la République.

 

 

 

- Nous avons le sentiment que vous avez fait le film qu’un Algérien aurait pu réaliser...

 

Pendant le tournage en Algérie à la fin de l’année 2011, une équipe algérienne, choisie par mes soins, en accord avec le réalisateur Jérôme Sesquin, nous a accompagnés. Rien n’empêchait des professionnels algériens de prendre l’initiative d’un tel film. Je me serais alors volontiers effacé… J’ai également souhaité associer à mon film l’ENTV comme coproducteur, avec France 5 et TV5, comme ce fut le cas pour mon précédent film, en 2003, Un parcours algérien. Cela ne s’est pas réalisé cette fois-ci, à mon grand regret.

 

 

 

- Comment avez-vous choisi vos intervenants et les images d’archives ?

 

Par choix éditorial, tous les intervenants du film, que je connais pour la plupart, sont Algériens. Certains ont été ou sont au pouvoir, dans l’opposition ou dans la société civile. J’ai retrouvé ou recueilli les témoignages exclusifs de premier plan : Ahmed Ben Bella peu avant sa disparition, Sid-Ahmed Ghozali, Ali Yahia Abdenour, Khalid Nezzar, Abdelaziz Belkhadem, Zohra Drif Bitat, Khalida Toumi, Louisa Hanoune, Rédha Malek, le commandant Azzedine, Anissa Boumediène, Abdelmalek Sellal, Abdelaziz Rahabi, Rachid Boudjedra et l’historien à l’université de Constantine Abelmajid Merdaci. Et les témoignages archivés – souvent inédits – de Hocine Aït Ahmed, Bachir Boumaza, Saïd Sadi, Houari Boumediène, Mohammed Boudiaf et Abdelaziz Bouteflika. Quant aux images d’archives qui illustrent cette histoire, avec le réalisateur, nous avons fait nos choix dans les archives françaises de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), de l’ECPAD du ministère des armées ; européennes des télévisions belge RTBF, suisse TSR, arabe (Al Jazira), américaine (NARA) et auprès de la cinémathèque de Belgrade (les années Tito 1962-1963). Nous avons également librement puisé dans les archives de la Télévision algérienne.

 

 

 

- Pourquoi le président Bouteflika, pourtant votre ami, est-il absent de ce casting, ainsi que Saïd Sadi, pourtant longtemps une figure de la scène politique algérienne ?

 

Le président Bouteflika, que j’ai souvent côtoyé, rencontré dans le passé et accueilli à deux re prises en 2003 à Paris, à la Sorbonne et à l’Institut du Monde arabe (IMA) pour des manifestations culturelles alors que je présidais «L’Année de l’Algérie en France», ne semble plus accorder d’interview ces derniers mois. Mais il figure, bien évidemment, en bonne place dans mon film. J’ai repris notamment sa déclaration lors de la commémoration, à Sétif en 2012, des événements du 8 Mai 1945. En ce qui concerne Saïd Sadi, j’ai évoqué le rôle joué par le leader du Printemps berbère. Je regrette qu’il n’ait pas donné suite à ma demande d’interview.

 

 

 

- Quelles questions auriez-vous aimé poser au président Bouteflika ?

 

Parmi tant d’autres,celles-ci, en vrac : «Comment et quand passer de la légitimité révolutionnaire à la légitimité populaire ?» et «Si comme vous l’avez indiqué, vous ne vous représentez pas en 2014, comment préparer votre succession ?»

L’Algérie est un pays riche : son taux de croissance est de 3,5%, son pétrole, son gaz, son électricité, ses transports, son agriculture, ses universités et ses cadres lui permettent de fonder de grands espoirs de développement économique. Mais le peuple est encore pauvre et la jeunesse impatiente de partager les fruits de la croissance ; comment réduire les inégalités et lutter efficacement contre la corruption, mal universel mais aussi mal endémique algérien ?

 

 

 

- Comment concilier sécurité, démocratie, citoyenneté, patriotisme ?

 

L’Algérie, méditerranéenne, arabo-berbère, musulmane, est un acteur essentiel et incontournable d’un monde en plein évolution. La société algérienne a traversé des années terribles, confrontée au terrorisme fondamentaliste et à la violence. Elle a aussi résisté et vous avez œuvré pour la réconciliation, la concorde civile et l’établissement d’un Etat de droit. Mais aujourd’hui se profile un avenir incertain avec ce que l’Occident appelle des Printemps arabes, aux conséquences incalculables et dont certains ouvrent l’immense voie sahélienne aux terroristes obscurantistes. L’Algérie est le pays fort de la région ; quel peut-être son rôle tout à la fois pour se protéger, assurer sa sécurité et aider l’Afrique sahélienne à faire face à l’invasion barbare ?

 

 

N’est-il pas temps, au-delà d’échanges traditionnels économiques et commerciaux, d’établir de nouvelles relations avec une France ayant évacuée, il faut l’espérer, les vieux démons du colonialisme, de la pensée et de la pratique coloniale et l’Algérie assumant toute son histoire. Nous n’avons pas le pouvoir d’abolir le passé, mais le devoir de le connaître et de dépasser la radicalité de la guerre des mémoires. Quand l’Algérie et la France vont-elles enfin évacuer leur double ressentiment latent et regarder ensemble vers l’avenir ?

 

 

 

- Quelles sont aujourd’hui vos relations personnelles avec l’Algérie ?

 

J’entretiens des relations fraternelles avec les habitants de Aïn Arnat, une fidèle amitié avec Abdelaziz Bouteflika, Hocine Aït Ahmed, Abdellatif Rahal, Lakhdar Brahimi, comme ce fut le cas avec Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Bachir Boumaza et avec de nombreux Algériens de toutes situations et de toutes conditions. J’ai toujours été fidèle, dans ma vie personnelle et professionnelle, à mes convictions, mes engagements, mes amis.

 

Mais j’ai gardé, en toutes circonstances, un esprit libre, critique, une démarche indépendante. Et ce n’est pas à mon âge, alors que je n’ai plus rien à attendre encore moins à solliciter, élargissant ainsi le champ de ma liberté, que je changerais d’attitude. Ici et là, maintenant et demain, aussi longtemps que Dieu me prêtera vie.

 

Parcours professionnel d’Hervé Bourges :

 

Natif de Rennes, diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, Hervé Bourges découvre l’Algérie en 1959 lorsque, sous les drapeaux, il enseigne aux enfants. Commence ainsi une longue histoire avec l’Algérie. Alors au cabinet d’Edmond Michelet, ministre de la Justice, il fait la connaissance en prison de Ben Bella, dont il deviendra, après l’indépendance, le conseiller, poste qu’il occupera également auprès de Bouteflika et Boumaza.

 

De retour en France en 1966, il va prendre, outre un poste d’ambassadeur à l’Unesco, la tête des grandes structures audiovisuelles : RFI, TF1, Canal+ Afrique, Monte-Carlo, la Sofirad, France Télévisions, le CSA, l’Union internationale de la presse francophone et, depuis 2009, le comité permanent de la diversité de France Télévisions. Il s’est aussi illustré par des écrits importants dont on peut citer L’Algérie à l’épreuve du pouvoir (1967), Les cinquante Afriques (1979), Pouvoir, information et développement en Afrique (doctorat d’Etat de sciences politiques), Sur la télé, mes 4 vérités (2005) et L’Afrique n’attend pas (2010), entre autres.

 

Sur le plan audiovisuel, il n’est pas en reste avec Un parcours algérien (2003) et Abdou Diouf, un destin francophone. On lui prête un projet futur, toujours audiovisuel, qui impliquerait encore l’Algérie. Wait and see !

 

 

Mouloud Mimoun

El Watan

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