Tamnart 10 Posted December 22, 2012 Partager Posted December 22, 2012 Mohamed Saïb Musette: "Depuis 2011, les migrations vers l’Algérie sont des migrations de crise" Originaire de l'Île Maurice et naturalisé algérien en 1991, Mohamed Saïb Musette est directeur de recherche au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD) et consultant auprès des institutions internationales et d’agences des Nations unies. Son travail porte sur les migrations internationales, entre autres sujets. Il évoque ici les migrations subsahariennes vers le territoire algérien, leurs causes et leurs perspectives dans un contexte sahélien explosif et un contexte local marqué par la promulgation, en 2008, d’une loi sévère régissant l’entrée, le séjour et la circulation des étrangers » en Algérie. Existe-t-il des chiffres précis sur l’afflux vers l’Algérie des migrants en provenance d’Afrique subsaharienne ? Les flux migratoires provenant d’Afrique subsaharienne sont des mouvements plutôt frontaliers et saisonniers et, parfois, ils sont entachés d’irrégularité. Ces mouvements sont réputés non mesurables et non pertinents sur le plan statistique. On ne peut donc avoir de « chiffres précis » sur ces mouvements. Il est, toutefois, possible d’en donner une estimation. Les mouvements frontaliers ne sont pas irréguliers, notamment pour les Maliens qui n’ont pas besoin de visa d’entrée en Algérie. Le solde des entrées/sorties aux postes frontaliers peut donner une approximation sur le nombre de migrants maliens entrant en territoire algérien. Les données publiées par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) sont globales et renseignent sur les flux par postes frontaliers aériens, maritimes et terrestres. Les postes frontaliers terrestres sont nombreux, pas seulement dans le Sud du pays. La DGSN n’a pas encore diffusé les données récentes. Le ministère de l’Intérieur aurait affirmé que « 41.078 personnes ont été renvoyées d’Algérie entre 2009 et 2012 ». C’est ce qu’a rapporté la presse algérienne (le quotidien Mon Journal, du 14 décembre 2012). Depuis 2011, l’Algérie est entrée dans une « migration de crise », conséquence des contestations du « Printemps arabe », notamment, mais aussi de la situation dans certains pays africains : crise au Mali et, plus au sud, dans les pays du Grand Lac, etc. Il s’agit de mouvements de populations dans un contexte de crise multiforme (politique, économique et sociale). Dans une telle situation, les conventions bilatérales régissant les migrations ne sont plus opérationnelles. Il n’existe pas non plus de mécanisme multilatéral pour gérer les migrations de crise. Dans une déclaration devant les députés de l’Assemblée populaire nationale (APN), le 13 décembre 2012, le ministre de l’Intérieur aurait fait état de la présence en Algérie d’environ 60.000 étrangers en situation irrégulière et qui sont à la recherche d’un statut, ce chiffre comprenant les Libyens et les Syriens. Il y aurait quelque 25.000 ressortissants africains, 17.000 Libyens et 15.000 Syriens, toujours selon le même quotidien, Mon Journal. Dans un tel contexte, le traitement humanitaire prime sur le dispositif sécuritaire. Autrement dit, les procédures d’expulsion ne peuvent être mises en œuvre avec la même intensité. Les migrations subsahariennes vers l’Algérie se sont-elles ressenties de la promulgation de la loi n°28-11 du 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie ? Certes, la promulgation de cette loi indique toute la rigueur imposée par l’Algérie et devant conduire à des restrictions sévères de l’entrée des migrants sur son territoire. Il faut admettre que cette loi était attendue. C’était une mise à jour nécessaire : tous les agents contribuant à la migration irrégulière sont identifiables et donc panélisables et les peines sont encore plus sévères pour les récidives. A travers son application, l’Algérie s’aligne sur la Tunisie et le Maroc pour éviter que le Maghreb ne soit un terrain de transit vers d’autres contrées. Pour vous, cette loi a été « une mise à jour nécessaire ». Mais que pensez-vous de son aspect pour ainsi dire « policier » ? Elle légalise le fichage informatique des visiteurs « douteux » (article 15) et autorise le placement des migrants, sur arrêté des walis, dans des centres de rétention (article 37) dont l’existence est ainsi rendue légale. Elle oblige mêmes les « logeurs ordinaires » à déclarer les migrants qu’ils hébergent à la police (article 29). Elle punit sévèrement toute assistance aux migrants irréguliers (l’article 46) alors que les gens qui les aident ne sont pas tous des membres de réseaux illégaux (passeurs, etc.). La mise à jour de la loi sur les conditions de séjour des étrangers était nécessaire car l’ancienne loi (l’ordonnance du 21 juillet 1966, NDLR) n’était plus opérationnelle en ce sens que les formes des migrations avaient beaucoup évolué depuis sa promulgation. Certes, la sévérité des sanctions prévues par la loi du 25 juin 2008 est contestable. Il y a, dans ce texte, une pénalisation de l’ensemble des agents facilitant les migrations irrégulières (passeurs, logeurs, convoyeurs etc.), et c’est un élément important pour lutter contre le trafic des migrants mais il y a aussi un silence sur la protection des migrants « victimes » des passeurs. C’est à ce niveau que le rôle des ONG est entravé car l’assistance des personnes en danger ne devrait pas être pénalisée. Autoriser l’administration à prendre des décisions sur les migrations irrégulières est aussi contestable. Les juristes doivent se prononcer sur cette forme de « dérogation » au détriment de la justice. Quelle est la part des migrations irrégulières dans les migrations subsahariennes vers l’Algérie ? La part des migrations irrégulières est globalement assez faible. D’après un article publié dans la revue « Hommes & Migrations », le nombre de migrants en Algérie serait de l’ordre de 260.000, sans compter les migrants ayant opté pour la nationalité algérienne. Sur cette base, il y a quelques années j’estimais à environ 7.000 les migrants en situation irrégulière, dont 5.000 Subsahariens, ce qui donne un taux de 2%. Ce chiffre serait à la hausse avec le « Printemps arabe » et les conflits au Mali. Il avoisinerait 25.000 actuellement, soit un taux 8% sur une base d’environ 300.000 étrangers vivant en territoire algérien. Les migrations subsahariennes vers Algérie sont-elles essentiellement économiques? Dans une étude sur les migrants subsahariens en situation irrégulière en Algérie publiée en novembre 2008 (Comité international pour le développement des peuples/ Société algérienne de recherche en psychologie, NDLR), nous avions établi une typologie des migrations irrégulières subsahariennes. La part des travailleurs migrants sur le sol national était équivalente à celle des migrants de transit. Cette estimation est dépassée présentement. 44% des migrants enquêtés dans le cadre de cette étude étaient des migrants économiques, 51% des migrants frontaliers et 5% des migrants potentiellement « réfugiés », à la recherche d’une protection internationale. Quelle est la part de responsabilité de l’instabilité politique dans les migrations subsahariennes vers l’Algérie? L’Algérie reste le seul pays dans la région du Sahel caractérisé par une certaine stabilité politique et économique. De plus, l’économie algérienne semble offrir des opportunités de travail multiples, y compris dans l’économie informelle. Les « instabilités » dans les pays africains ne peuvent qu’entraîner des mouvements de populations vers des zones paisibles. Il est vrai que la Libye servait, avant le « Printemps arabe », de terre d’accueil pour les migrants subsahariens. Il n’est pas étonnant que ces flux se dirigent aujourd’hui vers l’Algérie. Dans ces conditions, la mobilisation humanitaire doit être renforcée. Si cette instabilité se prolonge, notamment au Mali, l’Algérie sera forcément sollicitée pour « abriter » les populations vulnérabilisées. Pouvez-vous nous parler plus précisément des migrations en provenance des deux voisins méridionaux de l’Algérie, le Niger et le Mali ? Il est vrai qu’il n’y pas que la crise malienne. Ils sont aussi nombreux les Nigériens à s’orienter vers l’Algérie pour des travaux saisonniers. Les migrations frontalières sont historiques dans cette région, ce qui leur donne une certaine légitimité sociétale. Que pensez-vous que la situation dans le nord du Mali puisse avoir comme conséquences sur le plan migratoire ? Nous avons déjà enregistré, il y a quelque temps, les premières conséquences de la crise malienne. Même des Algériens installés depuis longtemps au Mali sont rentrés en Algérie ! Plus la situation se complique et s’aggrave, plus les déplacements de populations seront intenses. Cette intensification des flux relève d’une migration de crise. L’Algérie ne saurait se soustraire à son devoir d’hospitalité « conjoncturelle » pour les populations en déplacement forcé. Le coût de gestion des migrations de crise, dans la durée, nécessiterait une mobilisation internationale et la contribution permanente des agences humanitaires. Quel est le profil général des migrants subsahariens en Algérie ? Dans le passé, les migrants subsahariens étaient essentiellement des hommes, accessoirement des femmes et des enfants. Ils étaient jeunes, avec des niveaux d’instruction moyen et faible. Dans la situation de crise actuelle, il n’y a plus de profil spécifique. Les personnes en déplacement forcé ont tous besoin d’une assistance humanitaire en fonction de leur niveau de vulnérabilité. Selon notre étude sur les migrants subsahariens en situation irrégulière en Algérie publiée en novembre 2008, cette population de migrants comprenait une écrasante majorité d’hommes (86%, contre 14% de femmes) et une majorité se déclarant d’origine urbaine (66%, contre 34% se déclarant d’origine rurale). L’âge de 67% des migrants enquêtés se situait entre 26 et 40 ans. Ces migrants n’étaient pas inactifs dans leurs pays d’origine, où ils exerçaient une activité professionnelle (84,6% pour les hommes et 82,5% pour les femmes), mais leurs revenus n’étaient pas suffisants pour couvrir leurs besoins et ceux de leurs familles, d’où leur décision d’émigrer. Toujours d’après cette étude, ces migrants étaient 43% à pouvoir envoyer une aide financière à leurs familles. L’Algérie est-elle, pour les migrants subsahariens, principalement un pays de transit ou une destination finale ? L’Algérie est devenue, pour la conjoncture, une terre d’accueil pour des milliers de personnes qui fuient la terreur et la misère. Le transit vers l’Europe est toujours dans la tête de ceux qui ont toujours eu ce « désir ». Il y a toujours une fraction marginale qui tente de traverser l’Algérie pour gagner l’Europe. Dans la situation actuelle, il est, à mon avis, important de relever que les migrants en Algérie, comme l’indique le ministère de l’Intérieur, sont de plusieurs origines : les Syriens et les Libyens ainsi qu’une fraction importante des Maliens, cherchent avant tout une protection internationale en Algérie. Sur les 60.000 étrangers qui seraient en situation irrégulière en Algérie, il y aurait moins de 3% qui chercheraient une protection internationale dans le monde, y compris en Europe. L’Algérie se retrouve ainsi à gérer une « migration de crise » pour laquelle il n’existe aucun instrument multilatéral. La Tunisie a eu à traiter le flux des migrants fuyant la Libye avec l’assistance humanitaire internationale. Les pays européens n’ont pas été d’un grand secours aux personnes déplacées. La fermeture de la frontière algéro-marocaine terrestre ne semble pas dissuader les migrants subsahariens de tenter le passage au Maroc pour aller, ensuite, en Europe… La traversée par le Maroc pour gagner l’Espagne puis l’Europe n’est pas exclusive aux populations subsahariennes. Cette voie est aussi utilisée par nos compatriotes. L’immensité de notre frontière avec le Maroc, malgré sa fermeture, offre toujours, les passeurs aidant, des failles exploitées pour acheminer les migrants vers leur destination, leur rêve… avec succès ou non. Maghreb emergent Citer Link to post Share on other sites
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