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Expo à Paris: Schéhérazade contre les salafistes.


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Schéhérazade contre les salafistes

LE MONDE 27.12.2012

 

Au début des contes des Mille et Une Nuits, le roi Schahzenan révèle à son frère, le sultan Schahriar, les orgies de sa femme. Celui-ci, fou de colère, la tue puis décide d'épouser chaque jour une jeune vierge et de la mettre à mort au matin. Pour "arrêter le cours de cette barbarie", la fille du grand vizir, Schéhérazade, s'offre au sultan. Chaque soir elle commence le récit de contes si captivants que Schahriar, chaque matin, renonce à l'exécuter...

 

L'anthropologue des religions et spécialiste de la littérature érotique arabe Malek Chebel voit dans Les Mille et Une Nuits le plus formidable manifeste anti-intégriste jamais écrit. "Ce récit est rempli de désir fou et de maris trompés, de lits magiques et de scènes lubriques. L'historien de l'art Elie Faure disait que "l'adultère et le cocuage en sont le sujet permanent, et à peu près unique". Il a raison. C'est la rançon de la polygamie, la face cachée d'un monde viril où les femmes rusent sans cesse pour satisfaire leurs désirs."

 

Les Mille et Une Nuits servent de trame à une vaste exposition de l'Institut du monde arabe, à Paris, jusqu'au 28 avril 2013. Et pour Malek Chebel, à qui on doit un imposant Dictionnaire amoureux des Mille et Une Nuits (Plon, 2010) - et pour cette raison consultant de l'exposition -, ce qu'on y voit semble beaucoup moins audacieux que le livre. Sauf peut-être l'affiche : une aquarelle inspirée par le ballet Schéhérazade, de Rimski-Korsakov, donné en 1910 à Paris, où on voit le danseur Nijinski en Nègre d'or jeté torse nu aux pieds de la sultane Zobéide à moitié déshabillée.

 

Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr. Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l'édition abonnés

 

Malek Chebel, avec qui on remonte une exposition où se mêlent l'univers arabe des contes (palais des sultans, villes médiévales, harems, Aladin, génies, danseuses...) et ses interprétations européennes (cinéma, chorégraphie, peinture orientaliste...), regrette qu'il n'y ait pas eu assez de place pour montrer toute "la gourmandise et l'impertinence des Nuits". C'est-à-dire ? "Myriam qui donne du haschisch à son mari pour rejoindre le séduisant Nour-Eddin ; les amours et les cajoleries entre femmes, comme dans l'histoire du capitaine Moïn devant qui l'adolescente s'écrie : "Sache que je suis une femme éperdument éprise d'une jouvencelle. Et son amour est dans mes entrailles à l'égal d'un feu pétillant." Sans oublier les coups de foudre entre garçons, entrecoupés de poèmes lyriques, comme dans l'histoire de Kamar ou celle de Grain de beauté..."

 

A entendre Chebel parler des Mille et Une Nuits - "un chef-d'oeuvre universel qui ne finit pas de s'écrire et a influencé le Voltaire de Zadig, le Diderot des Bijoux indiscrets, mais encore Shakespeare, Edgar Poe, Jorge Luis Borges" -, nous assistons depuis trente ans, dans le monde musulman et désormais dans l'élite européenne, à un gigantesque refoulement de la grande culture arabe classique et populaire, érotique aussi, une véritable démolition d'un passé brillant. Quel passé ? "Celui de la dynastie des sunnites abbassides (VIIIe-XIVe siècles), du monde arabo-andalou (Xe-XVe siècles) et des grands réformateurs de l'islam du XIXe et du XXe siècle."

 

Selon Chebel, qui publie ces jours-ci deux essais percutants, L'Islam de chair et de sang (Librio, "Idées", 78 p., 3 €) et Changer l'islam (Albin Michel, 288 p., 18 €, parution en janvier 2013), les puristes et les piétistes actuels de l'islam, les salafistes et la plupart des Frères musulmans, veulent revenir à la religion du IXe siècle - une véritable "régression intellectuelle" qui, en retour, alimente la virulence des Européens contre tous les musulmans. Il moque l'Union des organisations islamiques de France, proche des Frères musulmans, qui a affirmé le 14 novembre que le mariage homosexuel risque de mener la France à reconnaître "la polyandrie et la zoophilie". Chebel ajoute : "Ils devraient relire Les Mille et Une Nuits, qui s'ingénient à montrer toutes les formes d'amour imaginables : orgie, homosexualité, bisexualité, sadomasochisme, fétichisme, narcissisme, usage d'aphrodisiaques et de drogues, travestissement - et même la zoophilie dans l'histoire de Wardan le boucher. Ces vieux barbons apprendraient peut-être la tolérance !"

 

Malek Chebel rappelle qu'en 1980 la version arabe populaire des Mille et Une Nuits, dite "de Boulaq" (du nom d'un quartier du Caire), a été interdite à la demande des Frères musulmans, puis brûlée en place publique en 1985. Une autre version, édulcorée, publiée par le gouvernement Moubarak en 2010, fut attaquée par des avocats islamistes pour "offense à la décence" et "encouragement au vice et au péché". C'est comme si on voulait interdire Rabelais en France.

 

Un autre fin connaisseur des Mille et Une Nuits, Jamel Eddine Bencheikh, cotraducteur de l'édition de "La Pléiade", estime que ce livre choque les officiels et les religieux arabes depuis les premières publications, sans doute au XIIIe siècle : "Les clercs ont qualifié de futile un texte pervers pour en annuler les effets."

 

Devant le tableau orientaliste de Paul Emile Destouches représentant une toute jeune Schéhérazade ensorcelant le sultan (1824), Malek Chebel reprend : "Des versions réécrites des Nuits où on a ajouté un narrateur masculin à Schéhérazade circulent aujourd'hui dans le monde arabe. Ils veulent rétablir l'autorité du roi berné. Ils ne supportent pas qu'une femme se montre plus intelligente, cultivée et rusée qu'un homme. Ils détestent qu'elle raconte des histoires d'amour qui dissocient la jouissance et la maternité, l'amour et le devoir, et qui se gaussent des maris." D'ailleurs, l'extraordinaire personnage de Schéhérazade, au nom "immortellement familier", selon Marcel Proust, continue de séduire les féministes de culture arabe (et pas seulement), qu'elles se réclament de sa parole émancipatrice - comme Assia Djebar et Leïla Sebbar en France - ou qu'elles veuillent se libérer de toute tutelle - comme la Libanaise Joumana Haddad dans J'ai tué Schéhérazade (Actes Sud, 2010).

 

Malek Chebel constate que partout - en Arabie saoudite, au Yémen, en Egypte, au Soudan - où les islamistes font pression pour interdire l'étude des Mille et Une Nuits et les bannir des bibliothèques, ils font aussi la chasse aux homosexuels et condamnent un des plus vieux arts d'Orient, la danse du ventre, l'ancienne "danse de fertilité" (ainsi que le maquillage, le maillot de bain et les tenues occidentales).

 

Aujourd'hui, en Egypte, après un âge d'or lié à l'essor du cinéma dans les années 1930 puis après-guerre, seules quelques dizaines de professionnelles de danse classique exercent encore dans les lieux touristiques, la plupart étrangères (Brésiliennes ou même Coréennes), alors qu'il y en avait cinq mille dans les années 1950. Les islamistes les maltraitent sans cesse. Il y a quelques jours, Sama Al-Masri, une danseuse égyptienne partie exercer à Londres, a posté sur YouTube une vidéo dansée où elle dénonce la nouvelle Constitution des Frères musulmans et du président Morsi, qu'elle traite de "marchands de religion " et de "terroristes".

 

Cette peur qu'ont les musulmans radicaux de la danse du ventre et de ses jeux avec les voiles fait sourire Malek Chebel. Formé à la psychanalyse, auteur d'une Encyclopédie de l'amour en islam (Payot, 2003), il pense que le désir de liberté refoulé ressurgit toujours : "On vient de s'en apercevoir pendant le "printemps arabe" et la naissance d'une opposition laïque !" Il propose encore cette analyse nuancée de l'éros islamique. "Depuis des siècles, le voile traditionnel islamique, le simple hidjab qui encadre le visage, protège les femmes des désirs trop violents des hommes, mais il n'empêche pas la séduction. Les yeux doux, les clins d'oeil, les paroles troubles, les billets, les signes secrets, sans compter tout l'art de se dévoiler... Cet éros arabe a toujours existé dans les grandes villes comme Le Caire, Bagdad, Damas, Téhéran, Marrakech... D'ailleurs, une femme qui se cache de tous sous un grand châle va peut-être, comme dans Les Mille et Une Nuits, retrouver son amant en portant des dessous affriolants. Allez à Casablanca, Beyrouth, Alexandrie, Amman ou Tunis, vous trouverez des magasins de dessous sexy devant lesquels les femmes se bousculent."

 

Il faut se plonger dans Le Kama-sutra arabe. Deux mille ans de littérature érotique en Orient (Pauvert), une anthologie réalisée par Malek Chebel en 2006, pour comprendre son profond rejet du rigorisme musulman tout comme des discours anti-islamistes brutaux - "Que d'ignorance crasse !", dit-il. Il faut se rappeler qu'à la fin du VIIIe siècle, où Bagdad comptait un million d'habitants, 70 000 juifs y vivaient, la ville connaissait une vie nocturne agitée, il y avait des salons littéraires, athées et réformistes religieux s'exprimaient, et on buvait du vin dans les tavernes. Cette effervescence intellectuelle et des moeurs, parfois soumise à des répressions dures, mais jamais démentie, va durer cinq siècles.

 

Malek Chebel n'est pas seul à remettre à l'honneur cette époque. L'universitaire marocain Driss Belmlih, spécialiste de littérature abbasside, ou encore Abdelfattah Kilito, le professeur de Rabat qui a enseigné à Harvard, le font aussi. Ils nous parlent des odes à l'amour du poète Omar Ibn Abi Rabia (644-712), lues dans les mosquées. De l'écrivain Abu Nuwas (mort en 815), un des plus grands poètes classiques, qui a passé sa vie à défier l'islam : grivois, libertin, plein d'humour, ivrogne, chantant l'homosexualité, la masturbation et la débauche féminine, il fut soutenu par le calife Al-Amin. Ils parlent également du sceptique Abul-Ala Al-Maari (973-1057), qui écrivait que "tous les hommes se hâtent vers la décomposition. Toutes les religions se valent dans l'égarement", et rendait les oulémas responsables de la corruption et l'ignorance. Et du mathématicien et poète perse Omar Khayyam (1048-1131), hédoniste et esprit libre, qui disait : "S'il existait un enfer pour les amoureux et les buveurs, le paradis serait désert."

 

L'âge d'or arabo-andalou, du XIe au XVe siècle, a lui aussi donné de grands écrivains irrévérencieux, des réformateurs, une musique langoureuse et des libres-penseurs. André Miquel, cotraducteur des Mille et Une Nuits pour La Pléiade, a montré combien Ibn Hazm (994-1064), le poète de Cordoue, a contribué à fonder l'amour courtois français. Malek Chebel reprend : "Aujourd'hui, l'islam et le monde arabe paient encore le prix de la disparition de la société arabo-andalouse, urbaine, inventive, tolérante et amoureuse, détruite au XVe siècle par la Reconquista catholique, oubliée par tous les radicaux musulmans."

 

Malek Chebel est très remonté contre tous ceux qui rejettent la civilisation de l'islam tout entière, la considérant comme anachronique et achevée, alors que cette civilisation est bien présente dans les nouvelles salles des arts de l'islam, au Louvre. "Je prétends que défendre la beauté est une arme contre l'oubli et le déni de soi. Elle permet aux jeunes Français issus de l'immigration de se connecter à une histoire plus flamboyante. L'oubli des chefs-d'oeuvre d'une grande culture, encouragé par des artificiers de la haine, contribue à rejeter les populations immigrées dans leurs cages d'escalier."

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Schéhérazade contre les salafistes

LE MONDE 27.12.2012

 

Au début des contes des Mille et Une Nuits, le roi Schahzenan révèle à son frère, le sultan Schahriar, les orgies de sa femme. Celui-ci, fou de colère, la tue puis décide d'épouser chaque jour une jeune vierge et de la mettre à mort au matin. Pour "arrêter le cours de cette barbarie", la fille du grand vizir, Schéhérazade, s'offre au sultan. Chaque soir elle commence le récit de contes si captivants que Schahriar, chaque matin, renonce à l'exécuter...

 

L'anthropologue des religions et spécialiste de la littérature érotique arabe Malek Chebel voit dans Les Mille et Une Nuits le plus formidable manifeste anti-intégriste jamais écrit. "Ce récit est rempli de désir fou et de maris trompés, de lits magiques et de scènes lubriques. L'historien de l'art Elie Faure disait que "l'adultère et le cocuage en sont le sujet permanent, et à peu près unique". Il a raison. C'est la rançon de la polygamie, la face cachée d'un monde viril où les femmes rusent sans cesse pour satisfaire leurs désirs."

 

Les Mille et Une Nuits servent de trame à une vaste exposition de l'Institut du monde arabe, à Paris, jusqu'au 28 avril 2013. Et pour Malek Chebel, à qui on doit un imposant Dictionnaire amoureux des Mille et Une Nuits (Plon, 2010) - et pour cette raison consultant de l'exposition -, ce qu'on y voit semble beaucoup moins audacieux que le livre. Sauf peut-être l'affiche : une aquarelle inspirée par le ballet Schéhérazade, de Rimski-Korsakov, donné en 1910 à Paris, où on voit le danseur Nijinski en Nègre d'or jeté torse nu aux pieds de la sultane Zobéide à moitié déshabillée.

 

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Malek Chebel, avec qui on remonte une exposition où se mêlent l'univers arabe des contes (palais des sultans, villes médiévales, harems, Aladin, génies, danseuses...) et ses interprétations européennes (cinéma, chorégraphie, peinture orientaliste...), regrette qu'il n'y ait pas eu assez de place pour montrer toute "la gourmandise et l'impertinence des Nuits". C'est-à-dire ? "Myriam qui donne du haschisch à son mari pour rejoindre le séduisant Nour-Eddin ; les amours et les cajoleries entre femmes, comme dans l'histoire du capitaine Moïn devant qui l'adolescente s'écrie : "Sache que je suis une femme éperdument éprise d'une jouvencelle. Et son amour est dans mes entrailles à l'égal d'un feu pétillant." Sans oublier les coups de foudre entre garçons, entrecoupés de poèmes lyriques, comme dans l'histoire de Kamar ou celle de Grain de beauté..."

 

A entendre Chebel parler des Mille et Une Nuits - "un chef-d'oeuvre universel qui ne finit pas de s'écrire et a influencé le Voltaire de Zadig, le Diderot des Bijoux indiscrets, mais encore Shakespeare, Edgar Poe, Jorge Luis Borges" -, nous assistons depuis trente ans, dans le monde musulman et désormais dans l'élite européenne, à un gigantesque refoulement de la grande culture arabe classique et populaire, érotique aussi, une véritable démolition d'un passé brillant. Quel passé ? "Celui de la dynastie des sunnites abbassides (VIIIe-XIVe siècles), du monde arabo-andalou (Xe-XVe siècles) et des grands réformateurs de l'islam du XIXe et du XXe siècle."

 

Selon Chebel, qui publie ces jours-ci deux essais percutants, L'Islam de chair et de sang (Librio, "Idées", 78 p., 3 €) et Changer l'islam (Albin Michel, 288 p., 18 €, parution en janvier 2013), les puristes et les piétistes actuels de l'islam, les salafistes et la plupart des Frères musulmans, veulent revenir à la religion du IXe siècle - une véritable "régression intellectuelle" qui, en retour, alimente la virulence des Européens contre tous les musulmans. Il moque l'Union des organisations islamiques de France, proche des Frères musulmans, qui a affirmé le 14 novembre que le mariage homosexuel risque de mener la France à reconnaître "la polyandrie et la zoophilie". Chebel ajoute : "Ils devraient relire Les Mille et Une Nuits, qui s'ingénient à montrer toutes les formes d'amour imaginables : orgie, homosexualité, bisexualité, sadomasochisme, fétichisme, narcissisme, usage d'aphrodisiaques et de drogues, travestissement - et même la zoophilie dans l'histoire de Wardan le boucher. Ces vieux barbons apprendraient peut-être la tolérance !"

 

Malek Chebel rappelle qu'en 1980 la version arabe populaire des Mille et Une Nuits, dite "de Boulaq" (du nom d'un quartier du Caire), a été interdite à la demande des Frères musulmans, puis brûlée en place publique en 1985. Une autre version, édulcorée, publiée par le gouvernement Moubarak en 2010, fut attaquée par des avocats islamistes pour "offense à la décence" et "encouragement au vice et au péché". C'est comme si on voulait interdire Rabelais en France.

 

Un autre fin connaisseur des Mille et Une Nuits, Jamel Eddine Bencheikh, cotraducteur de l'édition de "La Pléiade", estime que ce livre choque les officiels et les religieux arabes depuis les premières publications, sans doute au XIIIe siècle : "Les clercs ont qualifié de futile un texte pervers pour en annuler les effets."

 

Devant le tableau orientaliste de Paul Emile Destouches représentant une toute jeune Schéhérazade ensorcelant le sultan (1824), Malek Chebel reprend : "Des versions réécrites des Nuits où on a ajouté un narrateur masculin à Schéhérazade circulent aujourd'hui dans le monde arabe. Ils veulent rétablir l'autorité du roi berné. Ils ne supportent pas qu'une femme se montre plus intelligente, cultivée et rusée qu'un homme. Ils détestent qu'elle raconte des histoires d'amour qui dissocient la jouissance et la maternité, l'amour et le devoir, et qui se gaussent des maris." D'ailleurs, l'extraordinaire personnage de Schéhérazade, au nom "immortellement familier", selon Marcel Proust, continue de séduire les féministes de culture arabe (et pas seulement), qu'elles se réclament de sa parole émancipatrice - comme Assia Djebar et Leïla Sebbar en France - ou qu'elles veuillent se libérer de toute tutelle - comme la Libanaise Joumana Haddad dans J'ai tué Schéhérazade (Actes Sud, 2010).

 

Malek Chebel constate que partout - en Arabie saoudite, au Yémen, en Egypte, au Soudan - où les islamistes font pression pour interdire l'étude des Mille et Une Nuits et les bannir des bibliothèques, ils font aussi la chasse aux homosexuels et condamnent un des plus vieux arts d'Orient, la danse du ventre, l'ancienne "danse de fertilité" (ainsi que le maquillage, le maillot de bain et les tenues occidentales).

 

Aujourd'hui, en Egypte, après un âge d'or lié à l'essor du cinéma dans les années 1930 puis après-guerre, seules quelques dizaines de professionnelles de danse classique exercent encore dans les lieux touristiques, la plupart étrangères (Brésiliennes ou même Coréennes), alors qu'il y en avait cinq mille dans les années 1950. Les islamistes les maltraitent sans cesse. Il y a quelques jours, Sama Al-Masri, une danseuse égyptienne partie exercer à Londres, a posté sur YouTube une vidéo dansée où elle dénonce la nouvelle Constitution des Frères musulmans et du président Morsi, qu'elle traite de "marchands de religion " et de "terroristes".

 

Cette peur qu'ont les musulmans radicaux de la danse du ventre et de ses jeux avec les voiles fait sourire Malek Chebel. Formé à la psychanalyse, auteur d'une Encyclopédie de l'amour en islam (Payot, 2003), il pense que le désir de liberté refoulé ressurgit toujours : "On vient de s'en apercevoir pendant le "printemps arabe" et la naissance d'une opposition laïque !" Il propose encore cette analyse nuancée de l'éros islamique. "Depuis des siècles, le voile traditionnel islamique, le simple hidjab qui encadre le visage, protège les femmes des désirs trop violents des hommes, mais il n'empêche pas la séduction. Les yeux doux, les clins d'oeil, les paroles troubles, les billets, les signes secrets, sans compter tout l'art de se dévoiler... Cet éros arabe a toujours existé dans les grandes villes comme Le Caire, Bagdad, Damas, Téhéran, Marrakech... D'ailleurs, une femme qui se cache de tous sous un grand châle va peut-être, comme dans Les Mille et Une Nuits, retrouver son amant en portant des dessous affriolants. Allez à Casablanca, Beyrouth, Alexandrie, Amman ou Tunis, vous trouverez des magasins de dessous sexy devant lesquels les femmes se bousculent."

 

Il faut se plonger dans Le Kama-sutra arabe. Deux mille ans de littérature érotique en Orient (Pauvert), une anthologie réalisée par Malek Chebel en 2006, pour comprendre son profond rejet du rigorisme musulman tout comme des discours anti-islamistes brutaux - "Que d'ignorance crasse !", dit-il. Il faut se rappeler qu'à la fin du VIIIe siècle, où Bagdad comptait un million d'habitants, 70 000 juifs y vivaient, la ville connaissait une vie nocturne agitée, il y avait des salons littéraires, athées et réformistes religieux s'exprimaient, et on buvait du vin dans les tavernes. Cette effervescence intellectuelle et des moeurs, parfois soumise à des répressions dures, mais jamais démentie, va durer cinq siècles.

 

Malek Chebel n'est pas seul à remettre à l'honneur cette époque. L'universitaire marocain Driss Belmlih, spécialiste de littérature abbasside, ou encore Abdelfattah Kilito, le professeur de Rabat qui a enseigné à Harvard, le font aussi. Ils nous parlent des odes à l'amour du poète Omar Ibn Abi Rabia (644-712), lues dans les mosquées. De l'écrivain Abu Nuwas (mort en 815), un des plus grands poètes classiques, qui a passé sa vie à défier l'islam : grivois, libertin, plein d'humour, ivrogne, chantant l'homosexualité, la masturbation et la débauche féminine, il fut soutenu par le calife Al-Amin. Ils parlent également du sceptique Abul-Ala Al-Maari (973-1057), qui écrivait que "tous les hommes se hâtent vers la décomposition. Toutes les religions se valent dans l'égarement", et rendait les oulémas responsables de la corruption et l'ignorance. Et du mathématicien et poète perse Omar Khayyam (1048-1131), hédoniste et esprit libre, qui disait : "S'il existait un enfer pour les amoureux et les buveurs, le paradis serait désert."

 

L'âge d'or arabo-andalou, du XIe au XVe siècle, a lui aussi donné de grands écrivains irrévérencieux, des réformateurs, une musique langoureuse et des libres-penseurs. André Miquel, cotraducteur des Mille et Une Nuits pour La Pléiade, a montré combien Ibn Hazm (994-1064), le poète de Cordoue, a contribué à fonder l'amour courtois français. Malek Chebel reprend : "Aujourd'hui, l'islam et le monde arabe paient encore le prix de la disparition de la société arabo-andalouse, urbaine, inventive, tolérante et amoureuse, détruite au XVe siècle par la Reconquista catholique, oubliée par tous les radicaux musulmans."

 

Malek Chebel est très remonté contre tous ceux qui rejettent la civilisation de l'islam tout entière, la considérant comme anachronique et achevée, alors que cette civilisation est bien présente dans les nouvelles salles des arts de l'islam, au Louvre. "Je prétends que défendre la beauté est une arme contre l'oubli et le déni de soi. Elle permet aux jeunes Français issus de l'immigration de se connecter à une histoire plus flamboyante. L'oubli des chefs-d'oeuvre d'une grande culture, encouragé par des artificiers de la haine, contribue à rejeter les populations immigrées dans leurs cages d'escalier."

 

on parle de moi dans l'article :mdr:

sinon merci pour cet article

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