belkarem 228 Posted February 12, 2013 Partager Posted February 12, 2013 c'est l'un des chapitres du livres " terroristes" du juge anti terrorisme Marc TREVIDIC sorti en 2013 c'est bouleversant ...... La métamorphose Tout est allé si vite. Aujourd’hui je sais que c’est allé très vite… pas plus de deux ans. Et pourtant, pendant ces deux années, le temps m’a paru s’écouler très lentement. Je n’ai pas vu le basculement. La religion ne me faisait pas peur. Sinon, j’aurais sans doute réagi violemment, comme mon mari. Mais il n’était déjà plus là. Et ça aurait changé quoi ? Je me dis tout de même que, si nous avions été soudés, les choses se seraient passées autrement. Peut-être aurions-nous pu lui apporter ce qui lui manquait ? Mais que lui manquait-il ? Aujourd’hui, je n’en sais toujours rien. Je n’ai que des hypothèses, des regrets et un sentiment insupportable de culpabilité. La conversion progressive de Stéphane a commencé quand plus rien n’allait entre son père et moi. Comme nous avions d’autres préoccupations, nous n’avons rien vu venir. Stéphane avait seize ans. Il était en pleine adolescence. Il se posait beaucoup de questions métaphysiques, mystiques, des questions sur la vie, la mort, Dieu et les hommes. Et il cherchait les réponses. Nous, nous étions athées, laïcs, français, républicains. Nous ne connaissions rien à Dieu ni aux religions. Nous n’en avions pas peur. C’était tellement étranger à notre vie, à nos préoccupations, à nos angoisses. Angélique, la sœur de Stéphane, nous inquiétait beaucoup plus. À quatorze ans, nous trouvions qu’elle jouait un peu trop à la femme. C’étaient des inquiétudes typiques de parents français du XXIe siècle. Si nous lui faisions une remarque, c’était le drame. Elle nous parlait comme à du poisson pourri. Elle semblait révoltée, sur les nerfs. Stéphane, au contraire, était doux et réservé. Il travaillait bien au lycée. Pas de drogue, pas de cigarette, très peu d’alcool, apparemment pas de petite amie. D’ailleurs, nous aurions préféré qu’il ressemble un peu plus aux jeunes de son âge, un flirt, une petite cuite de temps en temps, sans aller trop loin bien sûr. Mais il était rassurant. Il n’y avait pas de problèmes avec lui. Nous étions toujours en train de crier sur sa sœur. C’était bien suffisant. Nous avons très vite constaté que Stéphane avait besoin de spiritualité. Je ne sais pas comment appeler cela. Il s’intéressait très peu aux choses matérielles. C’était un calvaire de lui trouver un cadeau autre qu’un livre sur les astres, les religions ou la philosophie. Il se plongea d’abord dans la Bible. A-t-on déjà vu des parents inquiets parce que leur fils lit la Bible ? Stéphane était baptisé mais nous ne l’avions jamais inscrit au catéchisme. Il n’avait pas fait sa communion. Manifestement, Stéphane ne fut pas vraiment convaincu. Je me souviens qu’il me posait beaucoup de questions auxquelles je n’avais pas de réponse, des questions sur l’Ancien Testament et sur la religion catholique. Il ne comprenait pas de quelle façon, à partir de la Bible, une telle religion avait pu voir naissance. Il lui semblait qu’il y avait un gouffre entre le texte fondateur et l’Église catholique. Je lui faisais les réponses convenues que tout laïc était capable de faire : « Dieu était une chose, les religions étaient tout autre chose. » C’est à cette époque-là qu’il s’est mis à la lecture du Coran. Il était enthousiaste. Il me disait que dans l’islam, l’homme était directement en rapport avec Dieu, sans intermédiaire, sans pape, sans curé, sans mitre, sans grande pompe ni robe pourpre. Petit à petit, il s’est mis à traîner du côté de la mosquée. Il n’y entrait pas car il n’était pas musulman mais il tournait autour. Je crois que c’est là qu’il a dû rencontrer Ahmed. Ahmed était un gentil garçon. Il est souvent venu à la maison. Il était d’une politesse inhabituelle. Il appartenait au mouvement tabligh[18] et il m’a expliqué que les tablighi faisaient du porte-à-porte pour prêcher l’islam pur des ancêtres. Il fallait selon eux revenir à une pratique rigoriste de l’islam pour que la société tourne mieux, soit plus juste, qu’il y ait moins de vices et de violence. Ahmed était doux, calme, posé. Il était difficile de ne pas être d’accord avec lui. Stéphane lui ressemblait. J’ai tout de même eu du mal à me faire à la nouvelle apparence de Stéphane. Sur Ahmed, le long kamis blanc me faisait plutôt sourire. Mais Ahmed était d’origine algérienne. Quand Stéphane adopta la même allure, kamis blanc, sandales en cuir et une petite barbe clairsemée, j’eus du mal à l’admettre. Je me fis une raison. Finalement, il avait un peu le look « peace and love » des années 1970 et ça lui passerait. Et puis, excepté son apparence, Stéphane n’avait pas changé. Il était toujours un garçon doux et calme. La seule différence, c’est qu’il semblait plus heureux. Stéphane nous annonça qu’il s’était converti à la religion musulmane. Nous nous en doutions mais je ne pensais pas que c’était si facile. Une profession de foi suffisait, m’expliqua-t-il. Les musulmans appelaient cela la « Shahada ». Cela consistait à proclamer qu’il n’y avait de Dieu que Dieu et que Mohamed était son prophète. Je n’étais pas inquiète mais un peu triste. J’avais toujours pensé que mon fils porterait des jeans, des baskets, écouterait de la musique qui me casserait les oreilles et sortirait avec des filles. Mais ce n’était pas du tout cela. Du coup, je n’avais plus aucun repère. Mon fils m’échappait et c’est cela, je pense, qui me rendait triste. D’autant que Stéphane ne voulait plus qu’on l’appelle Stéphane. Il avait pris un nom musulman. Maintenant, il s’appelait Abou Bakr. De plus, son père et moi commencions à nous disputer sur à peu près tout. Avant, Angélique était notre sujet de dispute le plus habituel. Maintenant, nous nous disputions aussi au sujet de Stéphane. Je dois reconnaître que c’est moi qui avais tort. Patrick voulait arrêter ce « cirque » tout de suite, interdire à Stéphane de se promener « habillé en clown » dans les rues avec des « savates » aux pieds. Moi, je ne voyais pas comment le lui interdire. Je disais à Patrick que ça allait être pire si on s’en mêlait, qu’il fallait mieux attendre que ça lui passe. Je prenais souvent l’exemple d’un ancien ami de Stéphane, le fils de l’un de nos voisins. Il était en prison à Boissy pour trafic de drogue. Il n’était pas le seul copain de Stéphane à avoir fait des conneries. C’était souvent la drogue, mais aussi pas mal de vols, de violences, parfois même des agressions sexuelles. Je m’en servais comme argument auprès de son père quand les engueulades entre lui et son fils prenaient des proportions inquiétantes. Je disais à Patrick que Stéphane n’avait jamais fait de conneries, n’avait jamais eu le moindre problème au lycée ou avec la police. Il avait de bonnes notes et un comportement irréprochable. Un soir, Patrick a été particulièrement dur… pas avec Stéphane pour une fois, mais avec moi. Alors que nous étions tous les deux dans la chambre, il m’a dit que j’étais vraiment trop *****. Il m’a dit aussi que ça n’allait pas durer, les bonnes notes. Il m’a dit que Stéphane allait être rejeté par ses copains, par ses profs, par tout le monde. On se foutait déjà de lui depuis qu’il faisait du porte-à-porte pour prêcher la bonne parole. S’il en profitait au moins pour vendre des croissants ! Il m’a surtout dit que Stéphane allait se replier comme une huître, qu’il ne fréquenterait plus que des fêlés dans son genre. Là encore, Patrick avait raison. Il m’a dit aussi qu’il allait basculer, disparaître. Il ne voudrait plus étudier, plus travailler. Il passerait son temps à lire le Coran et les Hadiths, à regarder des vidéos débiles, à aller sur des forums d’islamos arriérés. Patrick m’a dit tout cela et il avait raison. Il m’a également dit qu’il me quittait et il a eu tort. Après son départ, ça a été pire, bien pire. Certes, il n’y avait plus d’engueulades entre le père et le fils. Maintenant, il n’y en avait plus qu’entre Stéphane et moi et surtout entre Angélique et son frère. Stéphane avait changé, peu après le départ de son père. Il ne fréquentait plus Ahmed. Il ne faisait plus de porte-à-porte. J’ai essayé de savoir pourquoi un jour où Stéphane semblait d’humeur à discuter. Il m’a dit qu’il avait quitté les tablighi car ils n’étaient bons qu’à discuter pendant que les Américains massacraient des musulmans en Irak. C’était la première fois que Stéphane abordait ce sujet et je ne sus que répondre. J’aurais dû comprendre qu’il se passait quelque chose d’important, que Stéphane changeait, que sa douceur s’effaçait pour laisser place à une violence sourde. Ahmed avait disparu et je ne connaissais pas les nouveaux amis de mon fils car il ne m’en présenta aucun. Je sais qu’il en avait parce qu’il m’arrivait de le voir en petit groupe dans la rue. Stéphane n’allait plus à la même mosquée. Il allait loin, beaucoup plus loin. J’ai essayé d’en comprendre la raison mais il m’a simplement répondu qu’il allait dans une vraie mosquée. Je pensais que la mosquée de notre quartier était une vraie mosquée. Selon Stéphane, au contraire, l’imam de cette mosquée disait n’importe quoi. J’étais d’autant plus surprise que Stéphane, depuis sa conversion, avait toujours chanté ses louanges. Quand j’ai essayé de comprendre ce qui avait pu déplaire à Stéphane dans les propos de l’imam, mon fils m’a envoyé balader. Selon lui, je n’y comprenais rien. Je n’étais qu’une mécréante. C’était la première fois que mon fils me traitait de mécréante et ce n’était que le début. Je n’en sus donc pas davantage sur ce que mon fils pouvait reprocher à l’imam avant que celui-ci se présente à ma porte. Je ne l’avais jamais rencontré et j’étais évidemment très intriguée par sa visite. Il ne devait pas être si habituel pour un imam de rendre visite à une mécréante. Il était d’ailleurs visiblement gêné quand je l’ai invité à entrer chez moi. Il est tout de même entré et il a été très gentil. Il s’inquiétait beaucoup pour Stéphane. Il m’a expliqué que mon fils avait été pris en main par des salafistes. Il a essayé de m’expliquer ce qu’étaient les salafistes mais je n’ai pas trop compris la différence. Pour moi, il s’agissait dans les deux cas de musulmans qui voulaient revenir à l’islam du temps du Prophète et des premiers Califes. Stéphane, m’a indiqué l’imam, fréquentait une mosquée très radicale. Il fallait être très prudent car certains jeunes de cette mosquée avaient basculé. Ils avaient abandonné la contemplation pour l’action. Je ne comprenais pas trop ce qu’il voulait dire par « basculer », ni ces histoires de contemplation et d’action. Il semblait avoir des difficultés à m’expliquer clairement les choses et je ne savais pas poser les bonnes questions. Il n’avait pas voulu utiliser certains mots, sans doute pour ne pas me faire peur. Il voulait me faire comprendre quelque chose d’important sans utiliser les termes adéquats. Aujourd’hui, je sais parfaitement quels mots il aurait dû utiliser. Quand il est parti, j’étais angoissée. Je sentais bien un danger diffus mais les choses n’avaient pas vraiment été dites. Ou alors je n’avais pas voulu comprendre. ..........suite Citer Link to post Share on other sites
belkarem 228 Posted February 12, 2013 Author Partager Posted February 12, 2013 Je n’ai pas parlé à Stéphane de la visite de l’imam. Quand il est rentré ce soir-là, je n’en ai pas eu la force. Stéphane m’a dit qu’il arrêtait le lycée. Du coup, nous n’avons parlé que de cela. Je lui ai demandé pourquoi et il m’a dit que ça ne l’intéressait plus et que de toute façon c’était devenu invivable. Les autres n’admettaient pas qu’il soit différent. Il se sentait observé, jugé. J’aurais dû me souvenir de ce que son père m’avait dit, mais comme le divorce se passait très mal, je m’efforçais d’occulter le plus possible Patrick. Je ne l’avais revu qu’au tribunal depuis son départ, cinq mois plus tôt. Stéphane n’avait pas revu son père non plus. Seule Angélique avait gardé des contacts. J’ai su plus tard que Patrick était très inquiet de ce que lui rapportait Angélique au sujet de son frère. Pourquoi n’a-t-il rien fait à ce moment-là ? Je ne sais pas. Peut-être ne voyait-il pas ce qu’il pouvait faire. Il faut dire qu’Angélique ne parlait de son frère à Patrick que pour se plaindre. Il est vrai que Stéphane était devenu insupportable avec sa sœur. Il faisait son petit chef. Il voulait lui commander, lui dire ce qu’elle devait faire et même comment elle devait s’habiller. J’ai dû intervenir plusieurs fois parce que Stéphane la traitait de **** au prétexte qu’elle mettait des jupes et se maquillait. Je n’avais encore rien vu. Jamais je n’aurais pu imaginer ce qui allait suivre. Un soir, Stéphane dépassa toutes les bornes. Depuis trois mois, il avait arrêté le lycée et passait ses journées et ses nuits sur Internet. C’est à peine s’il venait dîner avec nous le soir. Il était tout le temps fourré à la maison et pourtant on ne le voyait plus. Angélique et lui ne s’adressaient quasiment pas la parole. Ça me faisait mal au cœur car ils avaient été très proches l’un de l’autre. L’ambiance était habituellement irrespirable mais ce qui se passa ce soir-là me bouleverse encore aujourd’hui. Le jeune homme assis à notre table n’était plus mon fils. Selon cet étranger plein de certitudes, j’étais moi aussi une ****, ni plus ni moins. Je m’habillais en ****. Je me maquillais comme une ****. J’étais une mécréante. Stéphane n’avait plus de limites. Il ne parlait plus. Il exigeait. Il exigeait que je mette un voile et que je ne boive plus d’alcool. Il me traita de pocharde. Je me souviens de ce mot. Il était absurde mais m’avait heurtée. Je me sentais étrangement coupable. Il est vrai que, depuis le départ de Patrick, je m’étais mise à boire beaucoup plus. Je n’étais pas pour autant une pocharde mais je voyais le regard méchant de Stéphane posé sur la bouteille de vin. Cette nuit-là, je n’ai pas trouvé le sommeil. Je vivais un cauchemar éveillé. Je ne savais pas où trouver de l’aide car je n’aurais pas su expliquer. Mon fils me donnait des ordres. Mon fils voulait diriger la maison. Mon fils me traitait de ****. Mon fils était d’une dureté envers moi qui me brisait le cœur. Angélique avait senti l’importance de ce qui s’était passé. Elle a fondu en larmes. Pourtant, ce n’était pas elle, pour une fois, qui subissait les injures de Stéphane. Stéphane n’était pas devenu seulement un étranger. Il était devenu un étranger hostile, presque un ennemi. Pendant le mois qui suivit, la tension monta crescendo. Tout devint sujet de dispute. Si Stéphane ne voulait plus étudier, il ne voulait pas travailler non plus. Il voulait, disait-il, faire l’Hijra[19], partir vivre dans un vrai pays musulman. C’était selon lui une obligation pour tous les musulmans. Un bon musulman ne devait pas vivre dans un pays de mécréants où la Charia n’était pas appliquée. Chacune de ces phrases était un coup de poignard. J’essayais de comprendre son point de vue. J’étais prête à le comprendre mais il avait une telle violence dans la voix que j’étais effrayée. Il ne restait plus rien de sa douceur passée, ni dans sa voix, ni dans ses yeux, ni dans son cœur. Et puis il passait le plus clair de son temps sur Internet. Aujourd’hui je sais ce qu’il y faisait, mais à l’époque j’étais tellement inconsciente. Je passais moi aussi beaucoup de temps sur Internet. J’essayais de me documenter, de comprendre cette religion qui me prenait mon fils peu à peu. Chaque soir, Stéphane remettait sur la table son projet de départ. Moi je ne voulais pas qu’il parte. Tant qu’il était mineur, il était hors de question qu’il parte. Après, lui disais-je, tu feras ce que tu voudras mais pour l’instant tu restes là. Le jour de son dix-huitième anniversaire s’est curieusement très bien passé. Son père est venu à la maison pour fêter la majorité de Stéphane. Il ne l’avait pas revu depuis un an. Il faisait beau. Chacun y mettait du sien. Le père et le fils ont discuté en adultes, très calmement. Il n’y a eu aucun cri. Même Angélique avait le sourire. Ce fut une journée de rêve. Je pensais que le cauchemar était peut-être terminé. Patrick m’a embrassée. Je me disais même qu’il me reviendrait. Je ne ressentais plus cette grosse boule dans l’estomac. À la fin de la journée, Patrick a voulu discuter avec moi seul à seul. Il m’a raconté ce que Stéphane lui avait dit. Il l’avait trouvé très posé, très adulte. Stéphane ne voulait plus s’installer définitivement dans un pays musulman. Il voulait seulement faire le pèlerinage à La Mecque. C’était l’un des cinq piliers de l’islam et Patrick pensait qu’il était impossible de refuser cela à Stéphane. J’étais très réticente au départ. Nous en avons discuté tous les trois ensemble et je me suis laissé convaincre. Stéphane nous a dit qu’il regrettait la façon dont il s’était comporté. Il s’excusait pour les propos qu’il avait tenus. Nous devions cependant accepter que devenir musulman était son choix. Il n’y avait pas de mal à être musulman, pas de mal à faire le pèlerinage. Il avait fait le Ramadan, disait-il, et ça n’avait dérangé personne. J’ai failli lui rétorquer que pendant un mois, j’avais dû faire un double-service, pour moi et Angélique d’abord, puis pour Monsieur à la nuit tombée, mais je ne voulais surtout pas polémiquer. La journée avait été si merveilleuse. J’avais retrouvé mon fils, je voulais éviter les sujets qui fâchent. Nous trouvâmes un accord. Stéphane irait faire le pèlerinage. En contrepartie, il promettait de reprendre ses études et de cesser de vouloir imposer à tous ses conceptions religieuses. Stéphane était d’accord. Il semblait merveilleusement heureux à l’idée de se rendre à La Mecque. Je comprenais cela. Je savais que c’était très important. J’avais vu des images impressionnantes à la télé. Par contre, je me souvenais vaguement d’histoires de mouvements de foule, de morts et de panique, si bien que je fis promettre à Stéphane d’être très prudent. Malgré son kamis et sa barbe incertaine, Stéphane était de nouveau mon petit garçon. Il me laissa le serrer dans mes bras. C’était la première fois depuis au moins un an que je le serrais contre mon cœur. Patrick et moi nous culpabilisions. Après tout, nous avions fait toute une histoire pour rien. Stéphane était musulman ! Et alors ? Il y avait un milliard et demi de musulmans dans le monde ! Comment avions-nous pu nous pourrir la vie à cause de quelque chose de si naturel ? Il y a toujours eu des conversions, des catholiques qui sont devenus musulmans, protestants, bouddhistes ou je ne sais quoi. Même des juifs sont devenus catholiques ! Et pas n’importe qui ! Patrick me cita l’exemple de Bob Dylan ! Non, nous avions vraiment fait du bruit pour rien et je m’en voulais d’avoir fait souffrir mon fils. J’avais l’impression que c’est moi qui l’avais rejeté. J’avais l’impression de l’avoir rejeté parce qu’il n’était pas devenu ce que j’attendais. C’était encore pire pour Patrick qui avait ignoré son fils pendant des mois. Pourquoi ? Pour une simple histoire de religion. Pour se faire pardonner, Patrick donna à Stéphane tout l’argent nécessaire, et même plus, pour son pèlerinage. Maintenant que c’était décidé, que des bases saines étaient posées, la famille se portait vraiment mieux. Même Angélique promit à son frère de s’habiller de façon un peu moins sexy. Pour ma part, je pris la décision d’arrêter l’alcool. Quand Stéphane nous quitta pour partir à La Mecque, il n’y avait plus eu de disputes à la maison depuis plus d’un mois. Mais Stéphane ne donna pas de nouvelles. Trois interminables semaines après son départ, à 7 heures du matin, la police débarqua chez nous pour faire une perquisition. Les policiers fouillèrent la maison de fond en comble. Ils saisirent l’ordinateur de Stéphane mais aussi celui d’Angélique. Durant la perquisition, je tâchai de comprendre ce qui se passait, mais je n’eus droit qu’à des phrases énigmatiques : « Vous savez bien pourquoi nous sommes là… Dites pas que vous n’avez rien remarqué. » Moi, je ne savais pas ce que j’aurais dû remarquer. Je ne savais pas ce que j’aurais dû faire, ce que j’aurais pu faire. En pleine perquisition, appelé par Angélique, Patrick débarqua. Le ton monta pendant qu’il s’expliquait avec un capitaine de police qui semblait diriger les opérations. Après tout, il était le père de Stéphane et il avait bien le droit de savoir ce qui se passait. Finalement, après un coup de fil, le capitaine nous prit à part et nous annonça que Stéphane était parti en Irak. Nous répondîmes avec conviction que c’était impossible car il faisait le pèlerinage à La Mecque. Le policier nous répliqua qu’il n’était jamais parti à La Mecque. Stéphane avait échangé son billet d’avion pour La Mecque que lui avait acheté Patrick pour un billet beaucoup moins cher à destination de Damas. Même à cet instant, j’étais larguée. D’accord, Stéphane n’était pas parti à La Mecque, mais comment les policiers pouvaient affirmer qu’ils étaient partis en Irak sous prétexte qu’il s’était envolé pour Damas ? Le policier nous répondit que c’était le chemin habituel, que depuis la Syrie on pouvait passer facilement en Irak si l’on avait les contacts nécessaires. Il ajouta que Stéphane avait les contacts nécessaires depuis longtemps. Patrick commençait à comprendre. Il dit au policier une phrase qui me surprit sur l’instant : — Depuis combien de temps surveilliez-vous Stéphane ? — Depuis environ un an. On a commencé à s’intéresser à lui quand il quitté le tabligh et qu’il a intégré un groupe jihadiste. Vous savez, quand un jeune tombe entre de mauvaises mains, ça peut aller très vite. La discussion fut interrompue parce qu’un informaticien voulait montrer au capitaine de police quelque chose sur l’ordinateur de Stéphane. Ce devait être intéressant car il ne revint nous voir qu’au bout d’une bonne demi-heure. — C’était quoi ? demanda Patrick. — Vous voulez vraiment le savoir ? répondit le capitaine. — Si ça ne vous dérange pas, je voudrais bien. — Rien de très intéressant pour nous… juste une collection impressionnante de vidéos d’égorgements. J’en avais rarement vu autant. Le lendemain, à la télé, dans les journaux, à la radio, les journalistes parlaient d’une vaste opération antiterroriste avec des perquisitions un peu partout et une vingtaine d’arrestations. Notre petite ville de banlieue était citée. Dans plusieurs articles, on parlait d’un converti du nom d’Abou Bakr qui était parti en Irak avec deux autres jeunes. On parlait de réseau, de Jihad, de filières irakiennes, d’Abou Moussab Al Zarqaoui, d’Al Qaida, de choses que j’avais lues et entendues tant de fois mais auxquelles je n’avais jamais prêté une grande attention. Tout cela me paraissait si irréel. Pour Patrick, c’était bien réel au contraire et nous avions assisté à tout : à la métamorphose de Stéphane jusqu’à ses bobards en forme de repentance. Pendant des semaines, je l’avais laissé se noyer sur Internet, s’endurcir devant des scènes horribles de guerre et de meurtres. Je n’avais rien fait et je m’en voulais tellement. Je suis certaine que l’explication vient en grande partie de là. Les nouveaux amis de Stéphane étaient sans doute pour beaucoup dans sa métamorphose mais je ne pense pas que leur influence ait été suffisante. Et Patrick s’en voulait tout autant ! Dire qu’il avait financé le voyage ! Il était furieux. Heureusement qu’il n’était pas là quand, le surlendemain de la descente de police, des caméras de télé se pressèrent à l’entrée de notre petit jardin. Je ne sais pas comment ils étaient parvenus à obtenir notre adresse, mais ils étaient là, plantés devant chez nous en attendant probablement que nous pointions le nez dehors. Ils ne restèrent pas longtemps. Avant de partir, ils prirent quelques images de la maison où avait grandi le converti. Et puis la vie reprit son cours. Les journalistes étaient passés à autre chose. La police nous avait simplement demandé de les prévenir si nous avions des nouvelles de Stéphane. Mais nous n’avions aucune nouvelle… rien. Rien pendant un mois, pendant deux mois, trois mois, quatre mois, cinq mois, rien pendant une éternité. Et pendant cette éternité j’imaginais le pire. Je tressaillais au moindre coup de téléphone. Je ne respirais plus dès que quelqu’un sonnait à ma porte. Parfois j’imaginais que tout s’arrangerait, que Stéphane reviendrait, qu’il s’expliquerait avec la police et que tout recommencerait à zéro, que nous pourrions tout rembobiner, que notre famille aurait une seconde chance. Ce n’est pas ce qu’il advint. Au bout de six mois, je reçus un appel qui semblait lointain. En tout cas, la ligne était mauvaise. L’homme parlait anglais avec un accent du Moyen-Orient et je ne compris qu’un mot sur deux. Je compris toutefois l’essentiel parce que l’homme répéta la phrase plusieurs fois en articulant « Abou Bakr is dead. Congratulations. He is a Shahid » Citer Link to post Share on other sites
Smiley 15 Posted February 12, 2013 Partager Posted February 12, 2013 S'il avaient bien répondu a ses questions tout au début quand il était curieux, ils aurait pu désorienter son comportement ...... Citer Link to post Share on other sites
KEYBOARDZAPPER 6 451 Posted February 12, 2013 Partager Posted February 12, 2013 .................................. Citer Link to post Share on other sites
Guest Osiria Posted February 13, 2013 Partager Posted February 13, 2013 :( Je dit toujours que la prière c'est mieux à domicile, il y'a beaucoups de lavage de cerveau. Merci pour le partage Belka :( Citer Link to post Share on other sites
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