Zoubir8 174 Posted March 17, 2013 Partager Posted March 17, 2013 Accusé de trahison, Bradley Manning, la source de WikiLeaks, s’explique Pierre Haski | Cofondateur Rue89 Analyste de l’armée américaine, il avait livré des documents secrets, choqué par « l’apparente soif de sang » des soldats, et leur mépris pour la vie humaine. C’est une voix fluette qu’on n’avait jamais entendue, et une photo furtive d’un tout petit homme en uniforme escorté par un garde géant. Bradley Manning, le militaire américain à l’origine de la plus grande fuite de documents de l’histoire au profit de WikiLeaks, explique son geste pour la première fois. Après deux ans et demi de détention préventive, dont plusieurs mois en isolement complet dans le cadre de la justice militaire américaine, le soldat Manning a comparu fin février au cours d’une audience préliminaire à son procès, au cours de laquelle il a plaidé coupable, et a lu une longue déclaration. Il risque vingt ans de prison dans cette première affaire, et la prison à vie avec les autres charges qui pèsent contre lui, notamment celle d’avoir aidé « l’ennemi ». L’audience était publique, mais tout enregistrement était strictement interdit : la justice militaire, engagée dans un processus de vengeance contre un homme qui a « trahi », ne cherchait assurément pas la publicité des débats. Enregistrement en ligne Mais des activistes américains, solidaires de Bradley Manning, ont réussi à obtenir, et viennent de mettre en ligne, l’enregistrement de la déposition de la source de WikiLeaks. Pour la première fois, donc, nous disposons, de sa propre bouche, de la version de Manning : ce qu’il admet avoir fait, et quelles sont ses motivations. Voici l’enregistrement complet, 68 minutes en anglais et de qualité moyenne, de sa déposition, résumée ci-après. La déposition de Bradley Manning Elle a été rendue publique par la fondation Freedom of the Press Bredley Manning, un analyste basé en Irak pour l’armée américaine, avait accès à de nombreux documents militaires secrets. Il les a copiés et a transmis son énorme fichier à WikiLeaks, l’organisation de Julian Assange, qui, en plusieurs publications fortement médiatisées, les a rendues publiques. Qu’il s’agisse de la guerre d’Irak, de l’Afghanistan, ou des petits et grands secrets de la diplomatie américaine, la publication des documents par WikiLeaks et des médias associés (dont Rue89 dans un deuxième temps), a constitué un événement majeur, plus sur la méthode que sur les révélations elles-mêmes. Bradley Manning voulait « lancer un débat national sur le rôle de l’armée » Dans sa déposition, écrite alors qu’il était détenu en isolement complet, Bradley Manning a expliqué qu’il en était venu à être « dégoûté » par l’attitude de l’armée américaine dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan, surtout après avoir découvert l’enregistrement d’une attaque d’hélicoptère de combat, à Bagdad, contre un groupe de personnes jugées suspectes, tuant en fait un journaliste travaillant pour Reuters et un enfant. L’armée américaine avait donné jusque-là de fausses informations sur cet incident, et la vidéo diffusée en 2010 par WikiLeaks avait fait sensation, contredisant la version du département de la Défense américain. Bradley Manning, la source de WikiLeaks, a expliqué (traduction de Global Voices) : « Le côté le plus alarmant de la vidéo, à mon avis, est l’apparente soif de sang [des soldats américains]. Ils déshumanisent les individus contre lesquels ils se battent, ne valorisent pas les vies humaines car ils désignent des personnes par les termes “bâtards morts” et se félicitent de leur capacité à en tuer en grand nombre. A un moment, il y a une personne, au sol, qui essaye de ramper pour se mettre à l’abri. Elle est grièvement blessée. Au lieu d’appeler des secours médicaux, un membre d’une équipe aérienne demande à la personne de prendre une arme pour avoir une raison de faire feu. On dirait des enfants torturant des fourmis avec une loupe. » Bradley Manning décrit aussi ce qu’il espérait accomplir en fournissant des documents concernant les guerres en Irak et en Afghanistan, connus comme les Iraq War Logs et les Afghan War Diary sur Wikileaks : « Je pensais que si le grand public, et notamment les citoyens des Etats-Unis, avait accès à ces informations… cela pouvait lancer un débat national sur le rôle de l’armée et sur notre politique étrangère en général, ainsi que sur les guerres en Irak et en Afghanistan. Je croyais aussi que l’analyse détaillée des données sur le long terme réalisée par différents secteurs de la société pouvait permettre à celle-ci de réévaluer le besoin, voire l’envie, de s’engager dans des opérations de lutte contre le terrorisme ou contre l’insurrection en ignorant les dynamiques complexes de la population vivant au quotidien dans les régions concernées. » Il déclare avoir ressenti un soulagement après avoir transmis ces informations à Wikileaks : « Avant que les informations ne soient publiées par WLO [pour “Wikileaks Organization”, ndlr], je me suis senti soulagé qu’elles soient en leur possession. J’avais le sentiment d’avoir accompli quelque chose qui me permettait d“avoir la conscience tranquille, en fonction de ce que j’avais vu et lu et que je savais qui se produisait quotidiennement en Irak et en Afghanistan.” La mort des lanceurs d’alerte ? Bradley Manning escorté après l’audience préliminaire à Fort Meade, fin février 2013 (AP Photo/Patrick Semansky) Bradley Manning sera jugé à partir du 3 juin. Il a déjà plaidé coupable pour dix des accusations portées contre lui, ce qui lui vaudra déjà vingt ans de prison garantis. Mais il reste douze autres charges, dont celle d’avoir aidé “l’ennemi” par la diffusion de ces informations, qui peuvent l’envoyer en prison pour le reste de sa vie, l’armée ayant renoncé à demander la peine de mort. La solidarité s’organise au sein de la société civile américaine, même si Manning est loin d’être une grande cause populaire. La fondation qui a rendu public l’enregistrement de sa déposition compte parmi ses membres Daniel Ellsberg, l’auteur des fuites des “documents du Pentagone”, lui aussi analyste militaire à l’époque. En 1971, il avait transmis au Washington Post des documents sur la guerre du Vietnam qui auront une influence considérable sur l’opinion. Daniel Ellsberg estime que Bradley Manning n’a rien fait de différent de lui, et qu’il a agi en conscience parce qu’il estimait que le public américain ne disposait pas de toutes les informations sur les guerres dans lesquelles étaient engagés les Etats-Unis. Menaces sur la liberté de la presse Dans une tribune publiée par le New York Times cette semaine, Floyd Abrams, un avocat, et Yochai Benkler, professeur de droit à Harvard, s’inquiètent de l’attitude des autorités militaires américaines qui pourraient signifier, selon eux, “la mort des lanceurs d’alerte”. Tout en prenant leurs distances avec le geste de Manning et le rôle de WikiLeaks. Ils retiennent en particulier une déclaration du procureur dans l’affaire Manning, qui avait estimé que les poursuites auraient été les mêmes si le militaire avait communiqué ses documents au New York Times, et pas à une organisation non-gouvernementale comme WikiLeaks. Ils commentent : “Si ces poursuites aboutissent, elles établiront un précédent effrayant : les fuites touchant à la sécurité nationale feront courir à leurs auteurs le risque de la peine capitale ou au moins de la prison à vie. Toute personne ayant à cœur la liberté de la presse devrait trembler face à la menace que cette thèse fait peser sur les journalistes, leurs sources, et pour le public qui dépend d’eux.” Bradley Manning est donc, pour les uns, la figure du “traître” qui n’hésite pas à diffuser des documents risquant de mettre en danger la vie d’autres soldats sur le front. Et, pour les autres, le symbole de ces “lanceurs d’alerte” souvent célébrés comme la conscience de sociétés libres. L’administration Obama n’agit pas, dans cette affaire, très différemment de ce qu’aurait fait George Bush. Elle laisse à l’US Army sa victime expiatoire. Citer Link to post Share on other sites
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