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Fr. Nicoullaud: Un compromis est possible avec l'Iran.


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Un compromis est toujours possible avec Téhéran

 

LE MONDE | 19.03.2013 François Nicoullaud (ancien ambassadeur de France en Iran)

 

C'est sur une heureuse surprise qu'a débouchée la négociation, qui s'est déroulée les 26 et 27 février à Almaty (Kazakhstan) entre l'Iran et ses six interlocuteurs, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne. L'offre des Six s'est améliorée. Nous avons renoncé à demander la fermeture de l'usine souterraine d'enrichissement de Fordo. Pas de regrets : les Iraniens, s'ils avaient démantelé le site, auraient été en droit de le rayer de la liste des installations soumises aux inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Nous avons aussi offert des allégements modestes de sanctions. Dans tout cela, l'Iran a bien voulu voir une avancée. Les parties se sont même accordées sur les dates de leurs prochaines rencontres.

 

Mais, sur le fond, rien n'est fait. Chacun, sans jamais le reconnaître, sait bien le seul compromis possible : acceptation des activités d'enrichissement mais régulées, et plafonnées à 5 % ; acceptation par l'Iran de contrôles internationaux renforcés sur tout son territoire, de façon à couper toute voie d'accès à l'arme nucléaire ; au fur et à mesure de la mise en oeuvre de ce dispositif, levée des sanctions et clôture du dossier au Conseil de sécurité. Mais des obstacles nous séparent encore de ce point d'arrivée : l'incompréhension des ressorts du jeu iranien, mélange d'évitements et de blocages, qui irrite tant nos négociateurs.

 

Les Iraniens sont plus que fatigués des sanctions : les premières mesures ont déjà plus de trente ans ; les sanctions les plus récentes, auxquelles se sont joints les Européens, touchent à peu près à tout, à travers le pétrole et les flux financiers, et font très mal. Chacun a bien compris à Téhéran que la possession de la bombe créerait à l'Iran plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait.

 

EXPOSER CLAIREMENT CE QUE NOUS VOULONS

 

L'incontrôlable président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, étant désormais marginalisé et en fin d'un mandat non renouvelable, Ali Khamenei, guide de la révolution, est seul maître du dossier nucléaire. Mais de ce fait, il se retrouve en première ligne et joue en cette affaire sa stature. Or, celle-ci a déjà été sérieusement écornée au cours des soulèvements de 2009. Il ne laissera ses négociateurs progresser que s'il perçoit une dynamique de succès.

 

Il nous faudrait donc commencer à exposer ce que nous voulons comme point d'arrivée. Les Occidentaux hésitent encore. Les Français répètent que l'Iran doit avant toute chose se plier aux injonctions du Conseil de sécurité, donc commencer par suspendre ses activités d'enrichissement. Mais selon les termes du Conseil, ces exigences sont formulées pour faciliter "une solution diplomatique négociée". Tant que nos demandes seront martelées sans dire à quoi ressemble cette solution, Khamenei refusera de s'y intéresser.

 

Non, disent les partisans de la fermeté, il devra les accepter, car l'embargo mettra bientôt l'économie iranienne à terre et, si le régime ne cède pas, soulèvera la société. Encore une illusion. Cette économie est en très mauvais état, et continuera à s'enfoncer. Dans une économie parallèle, l'argent coule à flot, ce qui exacerbe encore les luttes de factions au sein du pouvoir à l'approche de l'élection présidentielle. La classe moyenne affaiblie se replie sur des stratégies de survie individuelles et familiales. S'il y avait des tentatives de révolte, le régime les materait sans états d'âme, dénonçant une fois de plus un "complot de l'étranger".

 

CONSTRUIRE UN "PONT D'OR"

Faut-il agiter la menace de l'emploi de la force, comme le font les Etats-Unis ? Ce discours vaut peut-être en politique intérieure pour satisfaire le Congrès américain, mais n'émeut en rien Téhéran. Il ne voit pas l'Occident faire les frais d'une troisième guerre du Golfe et de l'occupation d'un pays de 75 millions d'habitants. Quant à des frappes ciblées sur des sites nucléaires, peu importe. L'Iran millénaire n'est pas pressé. Il reconstruira ailleurs, et plus profond, les installations détruites. Considérant que l'agression dont il aura été victime l'autorise à se retirer du traité de non-prolifération nucléaire, il fermera ces nouveaux sites aux inspecteurs de l'AIEA. Nous ne serons donc pas plus avancés.

 

Cela dit, beaucoup de choses redeviennent possibles. Ronald Reagan, qui n'était pas un enfant de choeur, utilisait volontiers dans ses négociations sur le désarmement avec l'URSS la formule : "Trust, but verify". "Trust" ne signifiait pas "faire confiance", mais "offrir sa confiance", en échange de contrôles imparables et appliqués. Et cela avait marché. Avec l'Iran aussi, cet axiome est la clé du succès. Il est dans la tête de Barack Obama, qui l'avait évoqué dès 2009, lors de sa rencontre à Caen avec notre ancien président. Recevant récemment une délégation de la communauté juive américaine avant de se rendre en Israël, Barack Obama, interrogé sur la crise iranienne, a cité Sun Tzu : "Construisez un pont d'or pour permettre à votre adversaire de battre en retraite."

 

Les Français se sont positionnés en fer de lance sur la question des sanctions à l'égard de l'Iran, tant au Conseil de sécurité de l'ONU qu'au sein de l'Union européenne. Nous en avons assumé les conséquences : notre retrait partiel du marché automobile iranien, auquel nous fournissions les éléments de plus de 500 000 véhicules par an, a fait perdre des milliers d'emplois à nos constructeurs.

 

Toute esquisse de coopération dans les domaines d'excellence que sont pour nous le nucléaire et le spatial est devenue impensable. Nos échanges universitaires et de recherche se sont taris, et nous avons fermé l'Institut français de Téhéran, où des milliers d'Iraniens apprenaient notre langue. Personne ne peut nous reprocher de ne pas avoir payé notre écot à la solidarité internationale face au jeu nucléaire iranien. Mais tout cela aura un jour une fin. Il ne nous est pas interdit d'y contribuer. Ni de songer à nous protéger, le cas échéant, du risque toujours présent de "hors-jeu".

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