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Névrose: les Algériens n'aiment pas ressembler aux Algériens


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Névrose: les Algériens n'aiment pas ressembler aux Algériens

 

Par Kamel Daoud - Le Quotidien d'Oran - 11/06/2013

 

 

T ous les Algériens le disent quand ils veulent soupirer: les Algériens n'ont pas d'exemples. A suivre ou à imiter. Les meilleurs sont morts et quand on donne aux jeunes générations un martyr, l'idéal de vie devient un cimetière. Parfois. Donc, c'est selon. Un grand corps du Héros National composé de plusieurs morceaux étincelants. Le Héros algérien est donc un géant assis au bord de la mer et qui regarde. Il a les pieds d'un footballeur. Il a les mains vastes de l'homme qui prend sa part, sa terre, son baril et qui sait à la fois voler avec habilité et serrer la main avec virilité. Il a le regard perçant de celui qui voit loin. En arrière et en avant. Qui sait ou croit savoir que l'avenir est un passé où ce sont les mêmes qui meurent, bêtement et admirablement à la fois. Il a des bras déséquilibrés: l'un long pour contourner la loi, l'autre court pour ne pas avoir à travailler plus que les martyrs ou les imbéciles qui n'ont pas compris. Il a le nez immense: qui va de l'océan à l'océan. Majeur et signe ostentatoire de l'indépendance. Etrange cas algérien: le dictionnaire national se trouve dans les nuances du nez et pas dans la bouche de la langue.

 

Il a donc la bouche incroyable qui à la fois parle et mâche, produisant le mot qui mord et explique. Il a le teint de son drapeau. Il tourne le dos à sa terre et lui présente son ventre vide. Il est adossé au mur qu'il veut justement enjamber. Etrange posture qui donne ce corps qui fait mal et qui ne sait pas quoi faire de lui-même comme on le vit tous. Corps à cacher et corps à fuir. C'est donc le Héros national que la rue enseigne comme modèle et qui est offert comme une statue mentale aux générations déboussolées qui ne savent pas à qui ressembler en Algérie: au martyr, au voleur habile, au footballeur, à un député, un importateur, un wahhabite pantacourt ou à une coiffure d'été ? Rien dans les livres, dans la télé et dans les billets de banque, il n'y a que des animaux. Rien qui pousse un Algérien à vouloir ressembler à un autre Algérien. Les modèles du pays sont importés: on y propose de ressembler à un Suédois ou un arabe saoudien ou un Pakistanais. Les uns traversent la mer en chaloupes et d'autres le désert d'Arabie en tapis de prière. Donc? Il faut trouver et offrir des modèles et surtout pas dans les cimetières. Il faut revoir l'âge du président, le manuel scolaire, les gros et gras présentateurs de l'ENTV et les coiffures, les animaux des billets de banque et les affiches publicitaires. Il nous faut des héros. Car pour le moment, le héros algérien pour les Algériens est celui qui n'est plus Algérien justement. On est l'un des rares peuples narcissiques dont le but est de ne pas ressembler à lui-même.

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Son expérience de la société algérienne, son sens de l'observation, ses analyses très humaines combinés à son écriture très fluide font de K. Daoud un excellent sociologue. Il devrait se mettre, si ce n'est déjà fait, à la rédaction de livres.

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