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L'ère Boumediène: à l'inverse...alors essayez!!ü


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Fréquement le sujet relatif à Boumediène-indéniablement un politicien guère doué-est mis en avant. Et, si aujourd'hui on peut condamner ses choix de nationalisations touts azimuts, il convient de savoir si le Maroc et la Tunisie s'en sortent avec le choix d'une économie libérale s'en sortent mieux? Rien ne le prouve!

 

Vous avez la parole!

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Par Ali Mebroukine :Houari Boumediène, un homme, une ambition

 

Les contradictions paroxysmales de la construction d’un État moderne

 

C’est une loi d’airain que l’argument relatif à l’échec d’une expérience politique ne puisse être recevable qu’a posteriori. Sans doute, H. Boumediène, qui s’enorgueillissait d’avoir éclos de l’Algérie profonde, avait-il, paradoxalement, sous-estimé les résistances de la population algérienne aux réformes de structures qu’il voulait leur imposer. De la même manière, il n’avait pas pris suffisamment la mesure du faible degré d’adhésion des appareils bureaucratiques à la politique socialiste. Ces appareils se sont souvent heurtés aux producteurs directs (notamment les fellahs) qui finirent par développer une stratégie d’émancipation affranchie à l’égard des mots d’ordre et des oukases de l’administration(9).

 

Dans le domaine culturel, Houari Boumediène avait dû faire des concessions au courant islamo-conservateur. Ces concessions se sont traduites par une arabisation de l’enseignement au rabais, démagogique, voire outrancière (malgré les réserves du ministre de l’Enseignement primaire et secondaire de l’époque, Abdelkrim Benmahmoud), alors que l’Algérie était de tous les pays arabes celui qui avait le moins vocation à généraliser l’usage de la langue arabe, compte tenu de l’insignifiance de ses moyens (outils pédagogiques, nombre et qualité des enseignants, place prépondérante de la langue française dans les secteurs de l’administration, de l’économie et de la culture). Quant à l’islamisme politique, il était déjà présent dans la société algérienne au milieu des années 1970. Bien que régulièrement alerté par les services de sécurité sur les dangers potentiels que recelait la montée subreptice de ce phénomène, le président Boumediène l’avait relativisé, considérant qu’il parviendrait à le maîtriser une fois qu’il se sera hissé au-dessus des clans et des factions, c’est-à-dire, dans son esprit, après son élection à la magistrature suprême(10).

 

Quoi que l’on puisse penser de cette vision (résolument optimiste), il est indéniable que le président Boumediène n’a, à aucun moment, cherché à instrumentaliser les « constantes nationales » à des fins politiques ou politiciennes, à la différence de son successeur immédiat.

 

Houari Boumediène se trouvait en réalité au cœur d’une contradiction insurmontable. Il voulait, à la fois, propulser l’Algérie au devant de la scène arabe et méditerranéenne, la faire accéder à marche forcée au développement économique, social et culturel, redonner leur dignité aux Algériens, tout en pressentant de plus en plus nettement, le temps et l’expérience aidant, qu’aucune société n’est manipulable à discrétion et que tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse(11). A la décharge de H. Boumediène (ce dont ses multiples contempteurs gagneraient à se rappeler), il y avait l’obligation pour lui de se conformer à un dogme immarcescible, celui posé sous forme de résolutions et de directives par le Congrès de Tripoli (1962) et la Charte d’Alger (1964). Les historiens occultent également, le plus souvent de façon délibérée, que H. Boumediène entendait demeurer l’ordonnateur des grands principes proclamés à l’occasion du Congrès de la Soummam (août 1956), eux-mêmes issus de la Déclaration du 1er novembre 1954. En vertu de l’ensemble de ces tables de la loi, l’Etat algérien de l’indépendance devait revêtir les aspects suivants :

- a. un Etat socialiste ;

- b. un Etat démocratique (par-delà les ambiguïtés que charriait la notion de démocratie) ;

- c. un Etat dont l’appartenance au monde arabo-islamique était indiscutable, étant entendu que l’Algérie avait un tropisme méditerranéo-occidental la singularisait, tout comme le Maroc et la Tunisie, des autres Etats arabes et que sa berbérité constituait une composante essentielle de son identité. Ceci, sous réserve que cette appartenance (telle était, en tout cas, la volonté de Abane) puisse favoriser, grâce à la complète intégration de la minorité européenne, l’émergence d’un Etat multiethnique, multiconfessionnel et multilingue, à l’instar du Liban(12). Quoi qu’il en soit, c’est dans la fidélité aux principes réitérés depuis 1954 que H.Boumediène entreprend d’édifier l’Etat algérien.

Surtout, il voulait construire un socialisme spécifique, aux couleurs de l’Algérie, même si cette ambition se ressentait de l’influence des pays socialistes de l’Europe de l’Est. Il était cependant exclu idéologiquement et politiquement que H. Boumediène s’engageât sur une voie libérale de développement, alors que faisaient cruellement défaut les institutions de l’économie de marché (à la différence de la Tunisie et du Maroc où la colonisation n’avait pas fait obstacle à l’essor d’une catégorie d’entrepreneurs autochtones).

Au surplus, les forces politiques et sociales algériennes, les élites intellectuelles et nombre de spécialistes et d’experts étrangers dont la bienveillance à l’égard de l’Algérie était d’autant moins suspecte qu’ils avaient, en leur temps, réclamé l’indépendance de notre pays, plaidaient quasiment tous pour la voie de développement non capitaliste(13). Il y avait, par ailleurs, unanimité dans l’opinion publique pour affirmer que l’Algérie ne pouvait se développer, s’industrialiser, donner l’éducation et la culture pour tous, libérer le fellah, s’auto-suffire sur le plan alimentaire qu’en tournant résolument le dos aux options économiques libérales. Seulement, toutes ces élites et ces experts bien pensants, aujourd’hui fort critiques à l’égard de l’héritage laissé par H. Boumediène, n’ont jamais été en mesure de fournir le modus operandi indispensable de la voie de développement non capitaliste. Les idées générales et les poncifs de toutes sortes tenaient lieu de panacée pour nombre d’apprentis sorciers parmi lesquels figurent les industrialistes parrainés par B. Abdesslam.

C’est le président Boumediène, seul, ayant pris conscience de l’inadaptation foncière du modèle de développement non capitaliste aux structures économiques et sociales de l’Algérie qui décide de faire accomplir, à partir de septembre 1976, un véritable virage à 180 degrés à la politique économique, sociale et culturelle du pays. Dans une solitude impressionnante, H. Boumediène s’impose de revoir en profondeur les options qu’il s’était engagé à mettre en œuvre au milieu des années 1960 : industrialisation lourde, Révolution agraire, GSE, arabisation, rapport de l’Etat avec le religieux, etc.), sans disposer d’un outillage conceptuel alternatif. Son intelligence, son intuition, sa culture politique et historique, son exceptionnelle capacité de travail ont été ses seules armes pour tenter de remettre le pays sur les rails. Deux hommes avaient pourtant essayé, mais en vain, de le convaincre d’abjurer une vision dogmatique et doctrinaire de l’option socialiste : Kaïd Ahmed et Ahmed Medeghri. Il s’agissait indéniablement de deux grands serviteurs de l’Etat, lucides, courageux, intègres et nationalistes, mais fondamentalement portés par la conviction qu’il fallait abandonner l’étatisme, dès 1970, ce que H. Boumediène jugeait prématuré, le projet socialiste n’existant encore, selon lui, que dans les limbes. Le destin tragique de l’ancien responsable de l’appareil du parti et de l’ancien ministre de l’Intérieur auquel H. Boumediène fut résolument étranger, contrairement à ce que certaines rumeurs ont laissé entendre, l’a profondément marqué, accentuant davantage son isolement au milieu de clans et de factions uniquement soucieux de profiter de l’échec de sa politique pour conforter leur emprise sur les appareils d’Etat. Est-ce d’ailleurs un hasard si la campagne de déstabilisation de H. Boumediène est orchestrée, depuis les sommets de l’Etat, à partir de 1977 par des hommes que H. Boumediène avait décidé d’écarter, à l’occasion de IVe Congrès du FLN. Curieusement, le responsable des services secrets de l’époque n’était autre que le défunt Kasdi Merbah que l’on a toujours présenté comme un proche de H. Boumediène et même son principal homme de confiance. Ne lui revenait-il pas d’exercer un rôle de protection de H. Boumediène et de prévention des crises ? Rétrospectivement, la vigilance de H. Boumediène qui avait pourtant identifié ses adversaires au niveau des sphères dirigeantes a été prise en défaut, nonobstant la toute puissance prêtée alors à la Sécurité militaire. Il subsiste indéniablement un mystère au sujet de cet épisode qui eût entraîné une véritable redistribution des cartes politiques, du vivant même de H. Boumediène. Et la question reste posée à ce jour de savoir, dans l’hypothèse où cette tentative de déstabilisation avait été mise en œuvre, si le président H. Boumediène eût trouvé la parade pour la conjurer.

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Suite

 

L’INACHèVEMENT DE LA MISSION DE HOUARI BOUMEDIèNE

 

La rupture fondatrice commence en avril 1977 avec la restructuration profonde du gouvernement. Dans tous les domaines, H. Boumediène voulait faire accomplir à la société un profond aggiornamento : enseignement, culture, agriculture, industrie, habitat, aménagement du territoire, place de la religion dans la société, transformation du FLN en parti d’avant-garde, ouverture politique aux forces progressistes, amorce d’une rupture avec la vision de la politique étrangère qui avait prévalu jusque-là. Pour parvenir à ses fins, H. Boumediène avait besoin de temps. Or, dès l’été 1978, il tombe gravement malade et ne pourra, jusqu’à sa mort le 27 décembre 1978, reprendre les choses en main. Dans un article précédent (« Houari Boumediène ou l’histoire d’un destin contrarié », El Watan du 27 décembre 2006), nous avons exposé les différentes réformes que H. Boumediène voulait entreprendre d’ici 1990. Nous les reprendrons ici en substance :

- a. adoption d’un nouveau modèle de développement plus adapté aux réalités nationales ;

- b. adoption du planning familial pour stopper l’élan démographique, un des plus élevés au monde ;

- c. révision en profondeur de la Révolution agraire et de la Gestion socialiste des entreprises ;

- d. gel de l’arabisation et refonte totale du système éducatif ;

- e. politique d’aménagement du territoire et développement de l’habitat social ;

- f. réorganisation complète du FLN ;

- g. rupture avec l’isolement international de l’Algérie qui avait alors atteint son point d’incandescence avec l’affaire du Sahara occidental ;

- h. mise à l’écart d’une grande partie de l’encadrement politico-administratif du pays. Le personnel politique favorable à H. Boumediène était minoritaire dans l’appareil de l’Etat et au sein du Parti. On entend parfois certains lui reprocher rétrospectivement de ne pas avoir désigné de successeur. L’eût-il fait que rien n’autorise à penser que ce dernier aurait été adoubé par les nouveaux maîtres du pays. Ce qui est en revanche certain c’est que l’homme qui lui a succédé était promis à une retraite anticipée par la volonté de Boumediène, au même titre que d’autres responsables civils et militaires, alors que c’est avec l’appui inconditionnel du défunt Kasdi Merbah que Chadli accédera à la magistrature suprême. Peut-on, par ailleurs, faire grief à H. Boumediène de ne pas avoir assuré la pérennité des institutions qu’il avait mises en place ? Au sortir d’une période coloniale de 130 ans venue s’ajouter à la longue nuit ottomane, il aurait fallu 50 ans pour bâtir des institutions sociales et politiques durables. En 2008, l’Etat algérien est encore largement un Etat inachevé. H. Boumediène était parfaitement conscient que le substrat social algérien était inadapté à la démocratie occidentale, que la priorité était à l’affirmation de l’unité nationale, compte tenu des divisions linguistiques, régionales, sociales et culturelles léguées par plusieurs siècles d’histoire(14). Pour H. Boumediène, il fallait forger une identité collective algérienne. Il entendait passer à une étape ultérieure, à condition que l’Algérie eût d’abord décollé économiquement et culturellement. Ce faisant, il fallait favoriser une autonomie plus grande des sous-systèmes, incruster progressivement la sécularisation culturelle et poser les linéaments du développement politique de l’Algérie, caractérisé jusqu’alors par le faible degré de différentiation structurelle. La mise en place des APC en 1967, des APW en 1969 puis de l’APN en 1976, à côté d’institutions consultatives d’envergure comme le CNES créé en mars 1968 n’y avait pas suffi(15). ( A suivre)

 

L’auteur est : Professeur d’université

 

Références :

 

- 1) « Autour de la personnalité de Boumediène », Entretien de P. Balta avec M. Ch. Mesbah in Le Soir d’Algérie du 4 janvier 2007.

- 2) X. Yacono, Histoire de l’Algérie de la Régence turque à l’insurrection de 1954, Paris, 1993.

- 3) F. Abbès, La Nuit coloniale, Paris, 1962.

- 4) M. Harbi, Le FLN. Mirage et réalité. Des origines de la prise du pouvoir (1945-1962), Editions JA, 1985.

- 5) G. Meynier, Histoire intérieure du FLN, 1954-1962, Casbah Editions, Alger, 2003

- 6) Ibidem, p. 393

- 7) Ibid. Sous toutes ces réserves, on ne peut que rendre hommage à la qualité exceptionnelle de cet ouvrage conçu et rédigé sur la base de documents d’archives irrécusables rassemblés avec une patience de bénédictin.

- 8) V. S. Cheikh, L’Algérie en armes ou le temps des certitudes, OPU, 1981, pp. 385 et ss.

- 9) Cf Claudine Chaulet, Les Frères, la terre et l’argent, OPU, Alger, 1986.

- 10) H. Sanson, La laïcité islamique en Algérie, CRESM/CNRS, Paris, 1983.

- 11) K. Ammour, C. Leucate et JJ. Moulin, La Voie algérienne. Les contradictions d’un développement national, Maspéro, Paris, 1974.

- 12) Cette condition n’est plus remplie en 1965, les Accords d’Evian ayant été vidés de leur substance dès l’indépendance de l’Algérie.

- 13) G. Destannes de Bernis, « Industries industrialisantes et les options algériennes », Revue Tiers monde, Juillet Septembre 1969.

- 14) V. Samy Ousi-Ali, « Les derniers jours de Boumediène », El Watan du 9 décembre 2007.

- 15) Yadh Ben Achour, Politique, religion et droit dans le monde arabe, Tunis, Cérès Production, 1992 ; M. Harbi, L’Algérie et son destin. Croyants ou citoyens, Arcantère, Paris, 1992.

 

 

Par Ali Mebroukine

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