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Ali Benflis : « La fraude a déjà commencé »


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Au lendemain d'une campagne qui s'est achevée dans un climat de tensions, Ali Benflis, 69 ans, candidat à l'élection présidentielle algérienne du jeudi 17 avril, a reçu Le Monde, lundi dans son QG personnel au nord d'Alger. L'ancien premier ministre et principal rival du président sortant Abdelaziz Bouteflika, candidat à un quatrième mandat, prône un « consensus national ».

Comment avez-vous vécu cette campagne ?

 

Je viens d'achever une tournée dans les 48 wilayas et je me suis même parfois payé le luxe d'ajouter des réunions improvisées dans plusieurs de ces régions. Je suis parti le 23 mars délivrer mon message aux Algériens. Un soir, je suis arrivé à Tindouf, à l'extrême Sud-Ouest : un pays abandonné à lui-même, oublié, mais décidé à se prendre en main. Les jeunes m'ont attendu jusqu'à minuit, cela m'a touché, et tout le monde s'est cotisé pour un couscous. A Tlemcen, dans l'Ouest , j'ai été accueilli chaleureusement. Ce n'est le fief de personne. En Kabylie, cela s'est très bien passé, partout. Je n'ai pas eu un seul cri hostile dans une salle, personne ne m'a chahuté.

 

Vous décrivez une campagne idyllique. M. Bouteflika l'a pourtant qualifiée de « terrible » et a même parlé de « terrorisme », lorsqu'il a reçu le ministre espagnol des affaires étrangères…

 

Dois-je rappeler au président-candidat que ces élections sont une question algéro-algérienne ? Je suis profondément gêné d'entendre un président-candidat fatigué, mal informé, s'exprimer de la sorte devant un ministre d'un pays voisin et ami. Moi, favoriser le terrorisme ? Moi, qui n'ai jamais quitté le territoire pendant la décennie noire quand d'autres sont partis ? Moi, qui ai expliqué mon programme dans 48 wilayas, j'aurais menacé ? Lorsque j'ai été invité à la télévision publique, j'ai voulu dire aux serviteurs de l'Etat : pensez en tant que musulmans, en tant que pères de famille à ce que signifierait tout manquement professionnel en cas de fraude. Je faisais appel à leur conscience. On m'accuse aussi de vouloir réhabiliter le FIS . Je réponds ni oui, ni non. Ce que je veux, c'est proposer une réconciliation nationale.

 

Cela n'a pas déjà été fait par M. Bouteflika ?

 

Très partiellement. De quel droit peut-on exclure toute personne qui a renoncé à la violence et qui se place dans le champ politique de ses droits civiques ? Il y a aujourd'hui deux catégories de citoyens en Algérie : ceux qui jouissent de tous leurs droits civiques et ceux qui, parce qu'ils ne pensent pas comme vous, n'en bénéficient pas. La réconciliation nationale doit aboutir à un consensus national. Je ne le déciderai pas tout seul. J'inviterai tous les partis, tous les acteurs, toutes les associations à participer à un débat transparent devant tout le monde, avec à l'ordre de jour plusieurs questions : qui a-t-on oublié ? Comment notre pays doit-il être géré ? Par un pharaon, une présidence à vie, ou un Etat démocratique, un régime républicain ? Que fait-on pour que l'Etat soit enfin neutre ? Cela prendra le temps qu'il faudra.

 

Estimez-vous que l'interruption du processus électoral en 1992 a été une erreur ?

 

Il faut regarder les choses en face et rendre hommage à l'armée et aux services de sécurité. Sans eux, l'Etat se serait effondré. Le consensus national dira leur place dans la société. Moi, je suis pour qu'ils se professionnalisent. L'armée nationale populaire n'attend qu'une chose : que la classe politique prenne toutes ses responsabilités.

 

Pendant la décennie noire, des milliers de personnes ont été internées parce qu'elles ne pensaient pas comme vous, sans décision judiciaire. L'Etat a interné administrativement des gens et puis, après un certain temps, leur a dit : vous pouvez rentrer chez vous. Un Etat qui reconnaît ses erreurs et ses fautes, c'est un plus ou c'est un moins ? Pour moi, c'est un plus.

 

Etes-vous partisan de réparations pour ces personnes internées ?

 

Oui, je suis prêt à ouvrir le dossier des réparations. Il n'y a plus de questions taboues.

 

Cela vaut-il aussi pour la recherche des disparus pendant la guerre civile des années 1990-2000 ?

Je ne connais pas ce dossier, mais on le mettra sur la table. Je ne veux provoquer personne, je dis simplement que nous avons besoin d'un consensus politique national.

 

Pensez-vous que la société algérienne est prête à ouvrir un débat sur ce passé douloureux ?

 

La société commence à aller vers l'apaisement. La vraie légitimité, c'est celle qui renforcera l'Etat, avec des institutions crédibles et une vraie Constitution. Si nous avons eu trois ou quatre Constitutions depuis l'indépendance, pourquoi n'ont-elles pas duré ? Parce qu'elles ont été adoptées par une partie de la classe politique en excluant l'autre. Ce qui s'est passé avec la révision de 2008 est une hérésie, un viol, qui a mis la pagaille dans le pays. Nous aurions dû avoir des élections normales en 2009, avec un nouveau président, et l'Algérie aurait avancé. Non seulement, nous avons eu un troisième mandat, mais aujourd'hui, on nous dit : c'est le quatrième ou la fin du monde ! C'est aberrant.

 

Vous portez de graves accusations sur la fraude avant même que l'élection ait eu lieu…

 

Si l'élection se passe normalement, j'accepterai le verdict du peuple, mais la fraude a déjà commencé. Quand j'ai déposé mon dossier de candidature au Conseil constitutionnel, j'ai produit les deux conditions requises, bien qu'une seule soit nécessaire : la signature de 600 élus et de 60 000 citoyens, et bien plus même. Le président-candidat, nous dit-on, en a fourni 4 millions, réunies en quarante-huit heures… C'est impossible. On a pris les listes d'état civil des communes et on s'est mis à les reproduire à l'insu des intéressés. Si cela se trouve, il se pourrait même que j'y figure ! Des élèves sont revenus chez eux avec des formulaires d'inscription. On a même instrumentalisé l'école.

 

Si vous deviez contester les résultats, que ferez-vous au lendemain du scrutin du 17 avril ?

 

Les vents dominants me donnent le statut de favori. Si la fraude gagne, si je ne suis pas élu et qu'il n'y a pas de second tour, je ne reconnaîtrai pas ces élections programmées. Il y a une jeunesse décidée à vivre dans une démocratie, une nouvelle Algérie. Je suis un homme politique, un pacifiste. Mais je ne peux pas dire à tous mes soutiens d'accepter la fraude. Ce sera au pouvoir de les convaincre.

 

Le Monde.fr

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