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Anna de Noailles (1876-1933)


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Guest Luciana

À la nuit

 

Nuits où meurent l'azur, les bruits et les contours,

Où les vives clartés s'éteignent une à une,

Ô nuit, urne profonde où les cendres du jour

Descendent mollement et dansent à la lune.

 

Jardin d'épais ombrage, abri des corps déments,

Grand cœur en qui tout rêve et tout désir pénètre

Pour le repos charnel ou l'assouvissement,

Nuit pleine des sommeils et des fautes de l'être.

 

Nuit propice aux plaisirs, à l'oubli, tour à tour,

Où dans le calme obscur l'âme s'ouvre et tressaille

Comme une fleur à qui le vent porte l'amour,

Ou bien s'abat ainsi qu'un chevreau dans la paille.

 

Nuit penchée au-dessus des villes et des eaux,

Toi qui regardes l'homme avec tes yeux d'étoiles,

Vois mon cœur bondissant ivre comme un bateau,

Dont le vent rompt le mât et fait claquer la toile.

 

Regarde, nuit dont l'œil argente les cailloux,

Ce cœur phosphorescent dont la vive brûlure

Éclairerait ainsi que les yeux des hiboux

L'heure sans clair de lune où l'ombre n'est pas sûre.

 

Vois mon cœur plus rompu, plus lourd et plus amer

Que le rude filet que les pêcheurs nocturnes

Lèvent, plein de poissons, d'algues et d'eau de mer

Dans la brume mouillée agile et taciturne.

 

À ce cœur si rompu, si amer et si lourd,

Accorde le dormir sans songes et sans peines,

Sauve-le du regret, de l'orgueil, de l'amour,

Ô pitoyable nuit, mort brève, nuit humaine !...

 

_______

Recueil : Le cœur innombrable (1901)

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ma préférée est l'empreinte

 

Je m'appuierai si bien et si fort à la vie,

D'une si rude étreinte et d'un tel serrement,

Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie

Elle s'échauffera de mon enlacement.

 

La mer, abondamment sur le monde étalée,

Gardera, dans la route errante de son eau,

Le goût de ma douleur qui est âcre et salée

Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.

 

Je laisserai de moi dans le pli des collines

La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir,

Et la cigale assise aux branches de l'épine

Fera vibrer le cri strident de mon désir.

 

Dans les champs printaniers la verdure nouvelle,

Et le gazon touffu sur le bord des fossés

Sentiront palpiter et fuir comme des ailes

Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.

 

La nature qui fut ma joie et mon domaine

Respirera dans l'air ma persistante ardeur,

Et sur l'abattement de la tristesse humaine

Je laisserai la forme unique de mon coeur...

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Guest Luciana
ma préférée est l'empreinte

 

Je m'appuierai si bien et si fort à la vie,

D'une si rude étreinte et d'un tel serrement,

Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie

Elle s'échauffera de mon enlacement.

 

La mer, abondamment sur le monde étalée,

Gardera, dans la route errante de son eau,

Le goût de ma douleur qui est âcre et salée

Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.

 

Je laisserai de moi dans le pli des collines

La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir,

Et la cigale assise aux branches de l'épine

Fera vibrer le cri strident de mon désir.

 

Dans les champs printaniers la verdure nouvelle,

Et le gazon touffu sur le bord des fossés

Sentiront palpiter et fuir comme des ailes

Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.

 

La nature qui fut ma joie et mon domaine

Respirera dans l'air ma persistante ardeur,

Et sur l'abattement de la tristesse humaine

Je laisserai la forme unique de mon coeur...

 

Je ne le connaissais pas celui-là! Magnifique, merci pour la découverte.

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Bonsoir Luciana

 

je connaissais Merci a toi pour ce partage

 

L'inquiet désir

 

Voici l'été encor, la chaleur, la clarté,

La renaissance simple et paisible des plantes,

Les matins vifs, les tièdes nuits, les journées lentes,

La joie et le tourment dans l'âme rapportés.

 

- Voici le temps de rêve et de douce folie

Où le coeur, que l'odeur du jour vient enivrer,

Se livre au tendre ennui de toujours espérer

L'éclosion soudaine et bonne de la vie,

 

Le coeur monte et s'ébat dans l'air mol et fleuri.

- Mon coeur, qu'attendez-vous de la chaude journée,

Est-ce le clair réveil de l'enfance étonnée

Qui regarde, s'élance, ouvre les mains et rit ?

 

Est-ce l'essor naïf et bondissant des rêves

Qui se blessaient aux chocs de leur emportement,

Est-ce le goût du temps passé, du temps clément,

Où l'âme sans effort sentait monter sa sève ?

 

- Ah ! mon coeur, vous n'aurez plus jamais d'autre bien

Que d'espérer l'Amour et les jeux qui l'escortent,

Et vous savez pourtant le mal que vous apporte

Ce dieu tout irrité des combats dont il vient...

 

Anna de Noailles

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  • 2 weeks later...

Bonjour Luciana

 

L'un de mes préférés !

 

Alors a À la nuit la suite

 

Les parfums

 

Mon coeur est un palais plein de parfums flottants

Qui s’endorment parfois aux plis de ma mémoire,

Et le brusque réveil de leurs bouquets latents

- Sachets glissés au coin de la profonde armoire -

Soulève le linceul de mes plaisirs défunts

Et délie en pleurant leurs tristes bandelettes…

Puissance exquise, dieux évocateurs, parfums,

Laissez fumer vers moi vos riches cassolettes !

Parfum des fleurs d’avril, senteur des fenaisons,

Odeur du premier feu dans les chambres humides,

Arômes épandus dans les vieilles maisons

Et pâmés au velours des tentures rigides ;

Apaisante saveur qui s’échappe du four,

Parfum qui s’alanguit aux sombres reliures,

Souvenir effacé de notre jeune amour

Qui s’éveille et soupire au goût des chevelures ;

Fumet du vin qui pousse au blasphème brutal,

Douceur du grain d’encens qui fait qu’on s’humilie,

Arome jubilant de l’azur matinal,

Parfums exaspérés de la terre amollie ;

Souffle des mers chargés de varech et de sel,

Tiède enveloppement de la grange bondée,

Torpeur claustrale éparse aux pages du missel,

Acre ferment du sol qui fume après l’ondée ;

Odeur des bois à l’aube et des chauds espaliers,

Enivrante fraîcheur qui coule des lessives,

Baumes vivifiants aux parfums familiers,

Vapeur du thé qui chante en montant aux solives !

- J’ai dans mon coeur un parc où s’égarent mes maux,

Des vases transparents où le lilas se fane,

Un scapulaire où dort le buis des saints rameaux,

Des flacons de poison et d’essence profane.

Des fruits trop tôt cueillis mûrissent lentement

En un coin retiré sur des nattes de paille,

Et l’arome subtil de leur avortement

Se dégage au travers d’une invisible entaille…

- Et mon fixe regard qui veille dans la nuit

Sait un caveau secret que la myrrhe parfume,

Où mon passé plaintif, pâlissant et réduit,

Est un amas de cendre encor chaude qui fume.

- Je vais buvant l’haleine et les fluidités

Des odorants frissons que le vent éparpille,

Et j’ai fait de mon coeur, aux pieds des voluptés,

Un vase d’Orient où brûle une pastille.

 

 

Anna de Noailles,

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