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Le Chili renvoie l'Espagne à la maison


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Après la France en 2002 et l'Italie en 2010, elle devient le troisième champion sortant à être éliminé au premier tour de la Coupe du monde en quatre éditions. Quels sont les points communs entre ces géants qui ont vacillé?

 

Il y a moins de deux ans, les Espagnols paradaient après une démonstration en finale de l'Euro face à l'Italie (4-0). A leurs côtés sur la pelouse du stade de Kiev, leurs jeunes enfants gambadaient, comme une métaphore d'un géant du foot parti pour durer après trois titres consécutifs.

 

En s'inclinant sans discussion face au Chili (0-2) après s'être fait humilier 5-1 par les Pays-Bas lors du premier match, l'Espagne est pourtant devenue, ce mercredi 18 juin, le premier éliminé de cette Coupe du monde avec l'Australie, et le quatrième tenant du titre à se faire sortir dès le premier tour après le Brésil en 1966, la France en 2002 et l'Italie en 2010.

 

Fait étonnant, trois de ces éliminations précoces ont eu lieu au cours des quatre dernières éditions. Pourquoi les équipes championnes du monde souffrent-elles tant depuis le début des années 2000, alors que ce n'était arrivé qu'une fois seule fois au cours des 70 années précédentes? La défense d'un titre de champion du monde est-elle devenue beaucoup plus difficile qu'avant, ou les champions du monde s'y prennent-ils plus mal?

 

Cette fois-ci, pas de star absente

 

L'Espagne, en tout cas, ne pourra pas avancer l'argument-maître de ses trois devancières, l'absence de sa star, le joueur au sommet de son art qui vous emmène au sommet et dont l'absence complique tout.

 

En 1966, Pelé est indispensable à une équipe brésilienne déséquilibrée entre vieux cadres et jeunes pousses mais, victime de «contrats» du Bulgare Jetchev et du Portugais Morais, il ne joue la Coupe du monde que sur une jambe.

 

En 2002, Zidane, blessé lors du dernier match de préparation face à la Corée du sud, ne joue que la dernière rencontre face au Danemark, alors qu'il est visiblement encore diminué. Une blessure d’autant plus nuisible aux Bleus, déjà privés d'un Pirès dans la forme de sa vie, qu’il montrera au monde entier quatre ans plus tard tout ce dont il est encore capable.

 

En 2010, même scénario pour Andrea Pirlo: une blessure lors du dernier match de préparation et un bout de match lors de la dernière rencontre de poule, alors que le fantastique meneur italien brillera encore deux ans plus tard à l’Euro.

 

Cette année, l’Espagne s’est elle faite éliminer en pouvant compter sur tous ses joueurs-clés (Xavi, Iniesta, Casillas, Sergio Ramos...), et c’est tout un symbole pour cette équipe qui a dominé le monde et l’Europe, non pas grâce à une individualité hors du commun, mais à son jeu collectif époustouflant.

 

L'Espagne est-elle «le vieil homme de l'Europe»?

 

Mais s'ils sont là, les héros sont-ils trop vieux? En titrant son article sur l'élimination des Bleus en 2002 «La France joue comme le vieil homme de l'Europe», un an avant que Donald Rumsfeld n'utilise le même adjectif pour qualifier le pays qui s'opposait à la guerre en Irak, le New York Times résumait bien l'avis général. L'équipe de France n'avait pas su se renouveler depuis ses titres de champion du monde et d'Europe, et ses champions sur le déclin étaient le principal coupable de leur performance ridicule (un match nul, deux défaites, aucun but marqué).

 

Cette année-là, la France s'était présentée avec une moyenne d'âge de 28,9 ans, et surtout une défense titulaire composée de joueurs ayant tous déjà bien entamé la trentaine (Barthez, Lizarazu, Lebœuf, Desailly et Thuram).

 

Huit ans plus tard, le quotidien américain titrait presque exactement de la même manière son article sur l'élimination des Italiens («L'Italie était le vieil homme de l'Europe»), cinquième équipe la plus vieille du tournoi avec le même âge que les Bleus de 2002. Une fois encore, Marcelo Lippi sera largement critiqué pour avoir donné les clés de son équipe à Fabio Cannavaro, presque 37 ans, et Gennaro Gattuso, 32 ans.

 

Mais à bien y regarder, l'âge ne semble pas pouvoir expliquer à lui seul les éliminations surprises des champions du monde. En 2006, quand Français et Italiens se sont affrontés en finale, leurs effectifs avaient respectivement 29,2 et 28,8 ans de moyenne. Et cette année, l'Espagne n'est «que» la huitième équipe la plus vieille avec un âge moyen de 28,2 ans.

 

Plus que l'âge en lui-même, on peut émettre l'hypothèse d'une possible usure mentale, d'un manque d'appétit (relatif) des joueurs ayant déjà gagné le trophée par rapport aux autres équipes, qui peut jouer sur les performances. La France en 2002, comme l'Italie en 2010, n'ont pas donné la même impression de dépassement de soi et de sacrifice que la grande majorité des équipes lors de ce tournoi si prestigieux.

 

Une tactique scrutée et contrée

 

L'équipe qui gagne la Coupe du monde règne sur la planète foot pendant quatre ans. Quatre ans au cours desquels les prétendants à sa succession, aussi bien que les petites équipes croisant son chemin, étudient et scrutent son jeu dans les moindres détails pour en trouver la faille.

 

Si le Brésil, l'Italie et la France sont sans doute tombés en leur temps contre des adversaires qui avaient trouvé la réponse tactique à leur jeu à force d'observation, la fin du règne de l'Espagne est ici unique tant son style, le fameux tiki-taka barcelonais, fait d'un redoublement de passes rapides et courtes et d'un mouvement perpétuel de tous les joueurs pour offrir des solutions, était unique et reconnaissable.

 

L'Espagne (et le FC Barcelone) a tellement dominé son sujet pendant six ans que d'autres équipes s'en sont grandement inspirées (le Bayern Munich et le Paris Saint-Germain en club cette année, l'Italie depuis l'arrivée de Prandelli). Mais les adversaires se sont adaptés.

 

L'Inter de José Mourinho a montré la voie en 2010 contre le FC Barcelone en lui laissant la possession et en exploitant la moindre erreur. Cette année, le Real Madrid a fait exploser le Bayern Munich de Guardiola, malgré ses 71% de possession, avec un jeu direct et de contre-attaques ressemblant de près à celui déployé par les Pays-Bas lors du premier match du Mondial.

 

Une Coupe du monde plus dense?

 

Ce manque (relatif, on le répète) de fraîcheur et de grinta et cette avance tactique réduite peuvent se payer cash dans une compétition dans laquelle on peut estimer que les champions sortants n'ont plus la même marge qu'autrefois. De la même manière qu'en Ligue des champions, avec le système qui qualifie plusieurs clubs par pays, le tenant du titre n'a plus la même marge non plus –ce qui explique que depuis 1990, aucun n'a conservé son titre...

 

Depuis les changements des années 90 (passage à la victoire à trois points et à deux qualifiés par groupe avec la suppression du système des «meilleurs troisièmes», qui avait sauvé l'Argentine tenante du titre en 1990), le couperet des phases de poules s'est affûté. Et si le plateau s'est élargi de 24 à 32 équipes, il s'est dans le même temps densifié: des équipes comme le Japon, l'Australie, les États-Unis ou la Corée du sud, par exemple, faisaient autrefois figure de victimes expiatoires mais posent aujourd'hui des problèmes aux meilleurs.

 

En 2002 (Sénégal, Uruguay, Danemark) comme en 2010 (Paraguay, Slovaquie, Nouvelle-Zélande), la France et l'Italie semblaient avoir tiré des groupes faciles, mais se sont heurtées à des équipes de qualité, ou à tout le moins solides. Une tendance qui se confirme encore dans une édition 2014 où le Chili, longtemps en déclin dans les années 2000, fait cette année figure de gros outsider, et où l'Australie, que l'Espagne rencontrera pour du beurre, a fait trembler les grands...

 

Quand la chance fuit

 

La dernière hypothèse, enfin, est sans doute celle qui, très loin pourtant de tout expliquer, s'accorde le mieux à la nature de la Coupe du monde, le plus imprévisible des tournois, où tout se joue en une semaine (quel serait le classement de cette Espagne, avec le même plateau, sur un championnat de quarante matchs?). Il s'agit de la réussite.

 

«La troisième année est fatale», disait le grand coach et globe-trotter hongrois Bela Guttmann. Pour l'Espagne, la troisième année de domination du football mondial, 2010, aurait pu être fatale mais le Paraguay rata un penalty en quart de finale du Mondial et le Néerlandais Robben le but de sa vie en finale. La cinquième année, 2012, aurait pu être fatale, mais la Croatie manqua une occasion en or de l'éliminer en poule et les tirs au but tournèrent en sa faveur face au Portugal en demi-finale.

 

Les grandes équipes semblent escortées par une réussite constante: poteaux rentrants, égalisations à la dernière minute, penaltys ratés par l'adversaire… Et puis celle-ci tourne, parfois en une fraction de seconde. En 2002, la France avait été éliminée sans discussion mais, douze ans après, certains imaginent encore que la suite de l'histoire aurait été totalement différente si Trézéguet avait trouvé les filets plutôt que le poteau contre le Sénégal alors que le score était de 0-0, quinze minutes avant le coup de billard qui offrit la victoire à l'adversaire.

 

Cette année, l'Espagne aura été éliminée après avoir encaissé sept buts en deux matchs, mais peut-être que ses aficionados repenseront, dans les années à venir, à la balle de 2-0 de Silva contre les Pays-Bas, et se diront que ce but aurait tout changé… Comme si cette cauchemardesque semaine brésilienne n'avait été qu'une éclipse dans l'histoire d'une des plus belles équipes de tous les temps.

 

Source Slate.fr

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