Le requin et la dorade

[Guest D. ESSERHANE]

Par/D.E, alias Didine RAYAN

 

 

 

L’été tire à sa fin. De ma fenêtre, je contemple le versant de la colline verdoyante de peupliers, bordée tout autour de saules et de vieux oliviers. Il ne reste que quelques centimètres au soleil pour toucher l'horizon et se cacher derrière cet imposant monticule, gisant là où il est tel un titan depuis la nuit des temps.

 

Il me plait de rester si souvent là, planté comme mat, l’épaule collée contre mur, le cœur ailleurs à admirer le moment crépusculaire. C'est pour moi, un baume aussi exceptionnel d’amour et de conquête où les couleurs de la terre s’enlacent dans un élan magique à celles du ciel le temps d'un instant avant de s’évanouir dans un silence subliminal.

 

Lorsque la nuit est là, je fais mon vœu de toujours, me détourne à contre cœur et me dirige droit vers mon lit pour remonter les infos du jour ou parcourir quelques pages de mon bouquin de chevet. Mais pas ce soir!

 

Je n’en ai plus envie. Étrangement, je ne me sens plus moi-même depuis ce matin. Je suis absorbé par l’image de cette femme au corps excitant que j'avais tirée des pattes d’un truand qui voulait probablement la tuer. Tout ce que je retiens d’elle en guise de remerciement, c’est 'merci monsieur'. Deux mots d'effroi presque inaudibles sortis difficilement d'une bouche tuméfiée qui martèlent mes esprits.

[Guest D. ESSERHANE]

J’ai pris l’habitude de fréquenter ce bistrot depuis un certain temps déjà. C’est un coin assez tranquille où je peux déguster mon petit dej dans une ambiance bonne enfant et puis, j’aime tant écouter ces vieilles chansons qui faisaient remonter en surface mes tourments passés et quelques passions oubliées.

 

En y entrant, je suis toujours accueilli par le sourire éternel de la charmante barmaid qui, d’un geste de la main coutumier, me souhaite la bienvenue. Mony est une ravissante femme très gentille et courtoise à l’excès et en dépit de quelques rides au front brillamment dissimulées, on la prenait pour une fille à peine sortie de l’adolescence. Son secret pour se montrer plus attrayante aux regards des autres réside dans ses tuniques à manches retroussées, souvent blanches taillées sur mesure, ses jeans flares et son serre-tête aux fines nattes blondes collés avec soin sur ses cheveux blonds qui lui donnent l’air d’une petite hippie venue tout droit d’Amérique.

 

Bref, Mony est la coqueluche des lieux. Elle est si captivante, si remarquable qu’elle ne laisse personne indifférente.

 

A peine assis dans mon coin préféré faisant face au petit vestibule faiblement éclairé, que moi voilà servi d’un ‘café au lait fumant, de deux croissants aux amendes et d’un jus de citron vanillé. Un petit déjeuner qui me permet de reconstituer de petites réserves pour pouvoir amorcer une longue journée de dur labeur

 

Et pendant qu’on se régale dans cette atmosphère festive au rythme d’une musique blues un peu mélancolique à mon gout, que la porte d’accès s’ouvre violemment. Une jeune femme s’y précipite, fait les quelques pas qui la séparent de la salle et s’affale brusquement, à demi consciente. Au bout du vestibule, un malabar mal vêtu dégoulinant de sueurs, s’approche d’un pas rassuré puis s’arrête à sa hauteur, visiblement, prêt à l’achever d'un ou plusieurs coups de couteau qu'il tenait à la main...

[Guest D. ESSERHANE]

Des scènes de ce genre n'arrivent pas tous les jours; ce qui a crée en moi, l'effet de surprise qui me cloua sur place l'espace d’un instant puis, instinctivement, je pousse rapidement ma chaise en arrière et brandi mon P39 du ceinturon que je pointe en sa direction, sa grosse tête ajustée dans la ligne de mire. Intérieurement, je me sens satisfait de remarquer que ma main ne tremble pas, ce qui me donne une certaine l'assurance à soutenir un peu plus son regard d'animal.

 

Il me regarda deux ou trois secondes, puis fit un pas en arrière, persuadé que toute tentative de sa part entrainera immanquablement sa perte. Il se ravisa, recula encore de quelques pas, puis s’éclipsa comme un forcené d’un pas leste vers l’extérieur, son couteau toujours à la main.

 

Une fois parti, je range mon arme et m’agenouille pour porter secours à la jeune demoiselle qui gisait toujours à plat ventre sur le parquet. Mony rappliqua et m’aida comme elle le pouvait. Nous la trainâmes doucement, sous les regards ébahis des rares clients qui ne réalisaient pas encore ce qui se passait et, une fois arrivés aux toilettes, elle s’éclata en sanglots en remarquant sur le miroir d’en face, ses deux lèvres sérieusement amochées qu’elle cacha de ses deux mains, puis, elle me lança son regard droit dans les yeux :’Merci monsieur’.

 

Je lui tapote gentiment l’épaule gauche et ne trouve rien à lui dire sauf lui conseiller vivement qu’il était de son intérêt de se mettre en rapport avec la police et sans tarder si elle voulait vraiment en finir avec cette sale histoire.

 

Je disais ça comme ça, parce que dans ce genre de situation, le mieux est de ranger sa curiosité au placard. Ce n'est ni le moment propice, ni l'endroit idéal pour poser de questions. Le mieux est de se montrer plutôt compréhensif et compatissant.

 

Et pendant qu’elle me regarde avec étonnement, je sors de ma poche révolver une carte de visite que j’insère sans difficulté entre l'une des interstices de l’applique murale et lui chuchote calmement à l’oreille ‘Fais-moi signe en cas de pépins’.

 

Encore désarçonnée, elle tourna doucement ses yeux vers l'applique, les mains toujours collées sur la bouche et ne broncha pas…

[Guest D. ESSERHANE]

Curieusement, cette nuit-là, le sommeil habituel n’était au rendez-vous. J’insinue que mister Morphée s’était fait péter les deux bras ou bien, il s’était rebellé contre Dieu en se gourant abusivement de son propre pavot, laissant les humains que nous sommes à notre triste sort. Qu’il soit alors compté au nombre des damés et périsse dans l’enfer de Dante pour l’éternité

 

Je me tire de mon lit complètement abattu pour aller compter les étoiles du firmament. C'est toujours beau et captivant d'admirer le silence pensant de la nuit. Je me chausse de mes vieilles mules en peau de chèvre et me traine comme une limace jusqu’à la cuisine. Le café est encore chaud. Je me verse une petite tasse, j’allume une cigarette et sors à l’air libre en quête de quelques bouffées d’oxygène.

 

Dehors, il fait frais et ciel est si dégagé qu’on peut facilement compter tous les astres à l’œil nu. Ah si je pouvais lire dans les étoiles et connaitre ce que seront faits mes lendemains, ca me permettra de contourner mes échecs et sauter une à une toutes les portes de la réussite. Mais, je pense que seules les superstitieux accordent aveuglément un intérêt particulier à la voute céleste.

[Guest D. ESSERHANE]

Mais, franchement, cela ne m’empêche pas d’y jeter un coup d’œil à chaque fois que je m’achète un journal et ce, depuis ma tendre jeunesse au point où s’est développée en moi une curiosité quasi obsessionnelle.

 

Au signe de la balance, les devins me claironnent presque toujours, à travers leurs analyses loufoques, le même refrain où s’entremêlent pèle mêle, la justice, l’équité, la loyauté, le sérieux avec un soupçon de charme et de délicatesse inclus et, au revers, quelques mises en garde aussi pertinentes les unes que les autres, comme l’abus d’alcool, de tabac ou de café.

 

Foutaise! N'est-il pas dit quelque part que n'importe quel imbécile sait qu'on ne peut pas toucher les étoiles, mais ça n'empêche pas les sages d'essayer?

 

D'une chiquenaude, je jette mon mégot droit vers le ciel avec un sourire moqueur aux lèvres et je regagne à contre mon lit douillet complètement défait. Ma montre affiche déjà trois heures du matin et toujours pas de sommeil...