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Rabeh Sebaa : "Le syndrome ghardaoui est l’expression mortifiante d’une réalité algérienne longtemps scotomisée"


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"Le faisceau de symptômes, au sens clinique du terme, dont Ghardaïa est devenue le chancre de fixation, se trouve en état de latence, dans l’ensemble des régions d’Algérie", prévient Rabeh Sebaa, anthropolgue-sociologue à l'université d'Oran dans un entretien accordé à ElWatan.com où il tente de nous apporter un éclairage sur ce qui se passe à Ghardaïa depuis voilà un peu plus de neuf mois. Pour lui ,il ya aujourd'hui "urgence et impérativité" à contrer ce genre de symptomes.

 

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Conflit ethnique, racisme, problèmes inter communautaires, crise identitaire, inter-tribal ou linguistique, religieux (ibadites, malékites) … quel qualificatif pourrait-on donner à ce qui se passe à Ghardaïa depuis voilà un peu plus de 9 mois ?

 

Syndromatique. Sachant que le faisceau de symptômes, au sens clinique du terme, dont Ghardaïa est devenue le chancre de fixation, se trouve en état de latence, dans l’ensemble des régions d’Algérie. Et c’est précisément pour cela que le drame ghardaoui ne saurait se réduire à l’une ou l’autre des dimensions souvent avancées. Les notions d’ethnicité, de tribalité, de religiosité ou de racialité, sont tout à fait réductrices et par conséquent inappropriées. Y recourir est un raccourci commode qui n’est que la manifestation d’une paresse de l’esprit face à une situation multicomplexe.

 

Ce qui se passe aujourd’hui à Ghardaïa ne nécessite-t-il pas justement et notamment pour le reste de l’Algérie de se pencher sérieusement et surtout positivement sur cette question de « diversités à l’algérienne » que nous cessons de nier ?

 

Incontestablement. Avant Ghardaïa, il y eut le printemps amazigh, les émeutes récurrentes du sud, la cyclicité des soulèvements à Bejaia ou encore, récemment, les affrontements violents dans les nouvelles villes du Constantinois. Mais chaque fois l’attention ne se focalise que sur le « conflit » du moment, oubliant ou « niant » les autres qui viennent tout juste de le précéder et qui s’y apparentent fortement. Il s’agit d’un traitement par le déni caractéristique de l’Etat algérien.

 

 

 

Dans quelle mesure l’absence de l’État dans ce genre de conflits représente-t-il un danger à la stabilité de Ghardaïa et de l’Algérie dans son ensemble ?

 

Une autre notion est souvent associée à la tragédie ghardaouie, celle de chaos. Le contenu sémantique de cette notion signifie un état physique dans lequel on ne perçoit aucun ordre ou encore la manifestation violente d’un désordre épouvantable découlant d’une confusion générale, selon la définition communément admise. Dans ces conditions, il ne s’agit pas d’une « Absence de l’Etat » mais de son inexistence. Le désordre est l’inexistence de l’ordre, fut-il réduit à l’ordre public dont le premier garant est incontournablement l’Etat. Le cas libyen est fort illustratif à ce propos. Ainsi la stabilité de Ghardaïa, qui se trouve spécifiquement plus vulnérabilisée par la proximité frontalière et les trafics en tous genres, participe indiscutablement de la stabilité de l’ensemble du pays. Il y a indubitablement urgence et impérativité.

 

 

 

On parle de crise économique, problèmes de chômage…comme facteurs aggravants le conflit actuel à Ghardaïa…

 

Comme je l’avais souligné au début, le syndrome ghardaoui n’est, malheureusement, pas spécifique à Ghardaïa. La crise économique et notamment le problème du chômage chez les jeunes sont les choses les mieux partagées par l’ensemble des régions algériennes. Il existe, bien évidemment, des dimensions caractéristiques à chacune d’entres elles, comme en l’occurrence, une culturalité multidimensionnelle et prononcée, pour la vallée du Mzab, mais ces « facteurs aggravants » viennent se surajouter à des situations de déséquilibres sociétaux habituellement mal lus ou intentionnellement bien tus.

 

 

Vous dites « inexistence de l’Etat » mais peut être aussi la non implication de la société civile qui demeure comme inerte devant de telles situations… ?

 

De quelle société civile parlez-vous ? Vous savez que cette notion, ostensiblement galvaudée, est souvent réduite ou confondue avec le magma difforme, composé par une myriade de pseudo associations dont le rôle n’est guère celui de consolider le lien social, le véritable rôle de la société civile, une notion qui a une histoire, mais de remplir les salles occasionnellement pour apporter une caution ovationnante. A telle enseigne qu’il est souvent fait mention, de façon burlesque à la « rencontre avec la société civile » à l’issue de chaque déplacement d’un politique à l’intérieur du pays. Maintenant on peut se poser des questions sur cette « inertie » de la majorité silencieuse tétanisée par la peur et la primauté de l’instinct de conservation, au détriment de tout sursaut citoyen. Cela, bien entendu, ne l’absout aucunement. Mais de quels moyens matériels et moraux peuvent disposer ces populations longtemps laissées pour compte ? Ce qui explique, au moins en partie, le déficit drastique de la dimension éthique dans le traitement de cette question.

 

 

Traiter avec les chefs de tribus... comme on l’avait fait avec les aârouch, dénote une incompétence criarde dans le mode de gouvernance étatique...

 

Vous remettez en question l’existence même de l’Etat dans le conflit ghardaoui. C’est par inconscience que l’Etat est inexistant, par négligence, par faiblesse …?

 

Vous n’êtes pas sans savoir que la notion d’Etat est une abstraction qui n’a de sens qu’à l’épreuve réel sociétal. L’Etat ne saurait donc être une entité homogène ou uniforme mais une constellation d’actes institutionnels évolutifs et adaptables à des situations mouvantes ou contingentes. Pour le cas de Ghardaïa, comme pour d’autres régions, l’Etat algérien ne s’est jamais donné les moyens d’étudier, en profondeur les textures socio-anthropologiques des différentes aspirations des populations du pays afin de répondre, de façon appropriée, aux attentes diversifiées de ces populations, qui ne s’expriment d’ailleurs pas de la même manière, nonobstant le caractère violent commun aux différentes émeutes. Traiter avec les chefs de tribus, les comités des sages ou autres « symboles » décrépits, comme on l’avait fait auparavant avec les aârouch, dénote une incompétence criarde dans le mode de gouvernance étatique. Préférer le recours à la tribalisation au détriment la citoyennisation est la preuve cinglante d’une inaptitude et d’une impuissance à faire face à une situation qui engage le pays dans son entièreté. Il ya donc une inexistence outrageante d’une volonté étatique de lire et de comprendre des pans sociétaux entiers. L’existence d’un Etat ne saurait se limiter à suspendre quelques drapeaux aux frontons de quelques administrations.

 

 

 

Les choses ne sont pas si simples mais quel est le rôle précis de chaque acteur de la société algérienne pour « guérir » le pays de ce genre de conflits qui semblent être d’un autre âge et qui auraient dû être résolus depuis longtemps, pour qu’on puisse enfin passer à autre chose, c’est-à-dire construire le pays sur des bases plus solides, plus transparentes… car l’ambiguïté persiste ?

 

Les choses ne sont jamais simples. Même quand elles se donnent l’apparence de l’être. Tout d’abord quels sont les « acteurs » de la société ? Dans ce genre de situations on ne manque pas de décrier le silence des élites. Il faut tout de suite préciser que ce qui caractérise la société algérienne est l’absence d’une intelligentsia critique qui n’a pu être formée historiquement et sociologiquement. Tant et si bien que nous avons une intelligentsia de substitution formé par la presse écrite notamment. Les autres catégories sociales n’ont pas pour vocation de « guérir » le pays. Reste le pouvoir politique algérien qui a pour particularité de cultiver le verrouillage systématique depuis, maintenant, un demi-siècle. Pour « construire le pays sur des bases solides » il faut impérativement instaurer un système de places ou chaque catégorie sociale et chaque institution s’attelle à jouer son rôle pleinement. Ce qui suppose mettre un terme à l’autoritarisme forcené et au statuquo généralisé.

 

 

 

Revenant à la notion du chaos. N’est-ce pas un peu exagéré de faire référence au cas libyen sachant que l’Algérie est historiquement plus solide, a connue par le passé des phases d’éveil politique, identitaire, sociale …pour lesquelles des hommes et des femmes se sont sacrifiées et se sacrifient toujours, des phases décisives qui peut être demain conduiront au meilleur ?

 

La Libye est citée pour illustrer la situation de chaos en cas d’absence d’un Etat : Le désordre est l’inexistence de l’ordre, fut-il réduit à l’ordre public dont le premier garant est incontournablement l’Etat. Le cas libyen est fort illustratif à ce propos, voilà ce que j’ai dit plus haut. Il n’ya aucune comparaison avec l’Algérie. De façon générale, les sociétés ne sont pas comparables. Malheureusement la situation dans la vallée du Mzab, si elle ne connait pas son épilogue peut s’acheminer vers le chaos c’est à dire un état physique dans lequel on ne perçoit aucun ordre ou encore la manifestation violente d’un désordre découlant d’une confusion générale. Les prémisses sont là depuis longtemps.

 

 

 

La multiculturalité de la vallée du Mzab est un atout et antidote extraordinaire contre toutes sortes de dérives

 

 

 

Si on vous associe afin de venir à bout de ce genre de conflits qu’auriez-vous proposé concrètement en tant que sociologue et anthropologue pour ce qui est du cas ghardaoui?

 

Je l’ai souligné plus haut. Et pas seulement pour le cas ghardaoui mais pour la société algérienne toute entière. Se donner les moyens de l’étudier, de la connaitre et de la comprendre afin de contourner nombre de malentendus. La multiculturalité de la vallée du Mzab est un atout et antidote extraordinaire contre toutes sortes de dérives. A condition de ne pas l’enserrer, comme cela a été le cas, depuis l’indépendance, dans un carcan idéologico-bureaucratique qui n’est ni plus ni moins qu’un musellement insoutenable et générateur de tous les dangers. Cette multiculturalité qui est porteuse d’une mosaïque de créativités et d’imaginativités, dans tous les domaines, ne demandait qu’à s’exprimer pacifiquement comme actes de citoyenneté libres et responsables. Les moyens les plus sûrs pour casser ainsi les reins à toutes ses fantasmagories d’ethnicité, de communautés assorties de ces caricaturales parodies avec des sages ou des chefs de tribus.

 

 

 

Sans emphase, l’Algérie est un grand pays, magnifique, riche en ressources naturelles, où les différences culturelles sont tellement enrichissantes… On aurait pu aujourd’hui parler dans cet entretien du tourisme dans cette région d’Algérie qui doit enrichir ses populations au lieu de parler des conflits… Pourquoi encore et toujours ce retard qui nous colle à la peau ?

 

Kateb Yacine avait pour habitude de dire quel les seuls habitants de la planète qui ignorent la beauté et la magnificence de l’Algérie sont …les Algériens. Pas tous heureusement. Mais beaucoup ne sont pas conscients que l’Algérie est « le sourire de Dieu sur terre ». Un sourire qui prend, depuis quelques années hélas ! trop souvent la forme d’un rictus. Notamment dans des régions, comme Ghardaïa, Bejaia ou Béchar, nanties d’atouts touristiques extraordinaires. Mais il ne faut pas perdre de vue que la beauté géographique d’une région n’existe pas en soi mais s’articule et se conjugue aux paramètres sociétaux totaux. Ce n’est qu’à cette condition que ses positivités intrinsèques peuvent prétendre à la valorisation et à l’esthétisation. Le retard auquel vous faites allusion ne saurait se limiter à telle ou telle dimension d’une ville ou d’une région mais doit s’appréhender comme une lecture « symptômale » de pans entiers de la société algérienne. Une société assujettie implacablement à la forclusion. Le syndrome ghardaoui doit être lu et décrypté comme l’expression mortifiante d’une réalité algérienne longtemps scotomisée.

 

Source El Watan

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Guest leyla75
[...] quels sont les « acteurs » de la société ? Dans ce genre de situations on ne manque pas de décrier le silence des élites. Il faut tout de suite préciser que ce qui caractérise la société algérienne est l’absence d’une intelligentsia critique qui n’a pu être formée historiquement et sociologiquement. Tant et si bien que nous avons une intelligentsia de substitution formé par la presse écrite notamment. Les autres catégories sociales n’ont pas pour vocation de « guérir » le pays. Reste le pouvoir politique algérien qui a pour particularité de cultiver le verrouillage systématique depuis, maintenant, un demi-siècle. Pour « construire le pays sur des bases solides » il faut impérativement instaurer un système de places ou chaque catégorie sociale et chaque institution s’attelle à jouer son rôle pleinement. Ce qui suppose mettre un terme à l’autoritarisme forcené et au statuquo généralisé.

[...]

La multiculturalité de la vallée du Mzab est un atout et antidote extraordinaire contre toutes sortes de dérives

 

Si on vous associe afin de venir à bout de ce genre de conflits qu’auriez-vous proposé concrètement en tant que sociologue et anthropologue pour ce qui est du cas ghardaoui?

 

Je l’ai souligné plus haut. Et pas seulement pour le cas ghardaoui mais pour la société algérienne toute entière. Se donner les moyens de l’étudier, de la connaitre et de la comprendre afin de contourner nombre de malentendus. La multiculturalité de la vallée du Mzab est un atout et antidote extraordinaire contre toutes sortes de dérives. A condition de ne pas l’enserrer, comme cela a été le cas, depuis l’indépendance, dans un carcan idéologico-bureaucratique qui n’est ni plus ni moins qu’un musellement insoutenable et générateur de tous les dangers. Cette multiculturalité qui est porteuse d’une mosaïque de créativités et d’imaginativités, dans tous les domaines, ne demandait qu’à s’exprimer pacifiquement comme actes de citoyenneté libres et responsables. Les moyens les plus sûrs pour casser ainsi les reins à toutes ses fantasmagories d’ethnicité, de communautés assorties de ces caricaturales parodies avec des sages ou des chefs de tribus.

 

Voilà pour moi l'essentiel de cet entretien. Le malheur de l'Algérie c'est l'absence d'une élite capable d'étudier sa société et de la guider. On en a eu une qu'on a perdue pendant la décennie noire. Comment faire pour le reconstruire ? Où est cette nouvelle génération d'intellectuels qui va se pencher sur le lit du malade Algérie, en diagnostiquer la maladie et prescrire les remèdes qui la guériront ? Quand le peuple aura-t-il son mot à dire sur les prescriptions ? Et l'Etat algérien, est-il prêt à accepter de nous laisser la soigner ? J'ai bien peur que tout cela ne nécessite encore au moins une dizaine d'années (en étant optimiste), si on arrive à maintenir le malade sous perfusion en attendant...

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élite capable d'étudier sa société et de la guider. On en a eu une qu'on a perdue pendant la décennie noire.

 

 

quelle élite l'Algérie aurait perdue pendant la décennie noire ?

 

Si les intellectuels sont ceux qui arrivent à comprendre leur société et à y provoquer la révolution s'il le faut, les intellectuels sont les militants du FIS qui ont su enflammer le peuple et initier les premières élections libres du pays. La décennie noire a eu raison d'eux .

 

Restent tous les autres refoulés et complexés qui en éradicateurs avaient un compte à régler avec le FLN et voulaient se venger de la libération de l'Algérie. Au service des janviéristes - et des DAF - ils ont manipulé les concepts inadaptés de laïcité, droits de l'homme et libertés , si chers à l'Occident, pour mieux justifier le sort réservé à ceux qui voulurent se libérer de la dictature . Jouets aux mains des militaires, ces derniers n'hésiteront pas à les sacrifier pour mieux exploiter leurs actions .

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confus tout cela

 

un ethno-sociologue qui emploie un jargon médical pour nous donner un diagnostic clinique au lieu de nous instruire dans la simplicité de celui qui domine son sujet.

 

il y a de quoi donner la migraine même aux jeûneurs dont l'esprit est sensé être plus aiguisé .

 

comment déjà qu'il dit ?

 

le syndrome ghardaoui est l'expression mortifiante d'une réalité scotomisée ???

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