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Dans les contrées riches et pacifiques que nous habitons, aucun fléau n’est plus redoutable que l’amour. Si dans d’autres régions du globe on se bat contre la misère, contre les dictatures et contre les guerres, nos malheurs à nous naissent de la place que nos sociétés ont octroyée à la passion amoureuse. Depuis quelques décennies, celle-ci accoucha d’une institution effroyable qu’on appelle le couple. Si ce dernier était destiné à éteindre les désirs que la passion allume, on n’aurait rien à lui reprocher. Ce qui rend cette institution si regrettable, c’est qu’elle abrite aussi des relations domestiques, économiques, familiales, voire thérapeutiques.

 

Le couple profite de la passion que deux personnes éprouvent l’une pour l’autre afin que celles-ci cohabitent, mettent au monde des enfants, fassent des choix professionnels, s’écoutent et se soutiennent. Et aussi afin de tisser des liens de parenté et de solidarité économique. En bref, l’on fait dépendre toutes ces questions essentielles à l’équilibre, à la prospérité et au bonheur de chacun, d’un sentiment si peu sérieux. D’autant que le couple vit dans un milieu social dans lequel les institutions intermédiaires comme la famille, les partis politiques, les syndicats, les églises, ces instances qui liaient, obligeaient, faisaient craindre, aimer et espérer ont été dévastées.

 

De ce fait, les affects que le couple abrite sont plus puissants que ceux qu’entretiennent les adultes entre eux. Ils fonctionnent comme un îlot de chaleur au milieu d’un désert. Mais de ce désert le couple est aussi responsable : il monopolise les élans relationnels des partenaires. Les idéaux de fusion, d’exclusivité sexuelle, d’amitié qu’ils cultivent affaiblissent les rapports qu’ils entretiennent avec le reste du monde. Il en est ainsi des amis, des amants et même de certains parents : ces liens deviennent vite menaçants.

 

En bref, le cannibalisme conjugal appauvrit aussi bien les partenaires que la société. C’est au moment de se séparer que les anciens passionnés voient s’écrouler comme un château de cartes le monde construit autour de leur couple. Et aussi l’étendue de la misère relationnelle dont ce dernier les avait préservés. Comment une société qui se vante d’être si rationnelle a pu faire des choix si peu sensés ? Alors qu’après la chute du mariage bourgeois on aurait dû mettre en place des institutions plus efficaces que le couple pour garantir la reproduction, la vie commune, la solidarité entre les personnes, la satisfaction des pulsions sexuelles et la compagnie. Des institutions qui, tout en respectant l’égalité et la liberté de chacun, auraient apporté l’équilibre, la stabilité et la félicité au plus grand nombre.

 

Que faire des passionnés afin qu’ils ne troublent pas la nouvelle société ? On pourrait aménager des espaces hors monde, comme les bibliothèques ou les prisons, pour y placer les personnes liées par une passion réciproque.

 

Dans ces centres de concentration passionnelle (CCP), les amants ne feraient rien d’autre que vivre et donc éteindre petit à petit leurs élans fastueux. Une fois rétablis, ils seraient prêts pour affronter les délices et les tracas de la société. Un peu comme les séjours de soins pour drogués, alcooliques, hommes violents et ceux qui ne peuvent pas s’empêcher de faire des achats inconsidérés. On pourrait autoriser dans une vie trois ou quatre stages dans les CCP, payés par la collectivité.

 

Les vieilles personnes seraient exemptées de vivre dans ces lieux car, lorsqu’elles tombent amoureuses, elles ne risquent pas de procréer, ni de perdre la chance de trouver un emploi ou de développer une vocation, ni de se séparer en mettant en danger leur équilibre et celui de la société.

 

Les citoyens les plus sages pourraient céder ou vendre un ou deux de leurs stages à des tempéraments plus passionnés que les leurs. Et tout le monde plaindrait ceux qui n’auraient jamais éprouvé le besoin d’y mettre les pieds.

 

Par Marcela Iacub

Cannibalisme conjugal - Libération

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  • 4 weeks later...

Bonjour HILAR

 

Dans les contrées riches et pacifiques que nous habitons, aucun fléau n’est plus redoutable que l’amour. Si dans d’autres régions du globe on se bat contre la misère, contre les dictatures et contre les guerres, nos malheurs à nous naissent de la place que nos sociétés ont octroyée à la passion amoureuse. Depuis quelques décennies, celle-ci accoucha d’une institution effroyable qu’on appelle le couple. Si ce dernier était destiné à éteindre les désirs que la passion allume, on n’aurait rien à lui reprocher. Ce qui rend cette institution si regrettable, c’est qu’elle abrite aussi des relations domestiques, économiques, familiales, voire thérapeutiques.

 

Le couple profite de la passion que deux personnes éprouvent l’une pour l’autre afin que celles-ci cohabitent, mettent au monde des enfants, fassent des choix professionnels, s’écoutent et se soutiennent. Et aussi afin de tisser des liens de parenté et de solidarité économique. En bref, l’on fait dépendre toutes ces questions essentielles à l’équilibre, à la prospérité et au bonheur de chacun, d’un sentiment si peu sérieux. D’autant que le couple vit dans un milieu social dans lequel les institutions intermédiaires comme la famille, les partis politiques, les syndicats, les églises, ces instances qui liaient, obligeaient, faisaient craindre, aimer et espérer ont été dévastées.

 

De ce fait, les affects que le couple abrite sont plus puissants que ceux qu’entretiennent les adultes entre eux. Ils fonctionnent comme un îlot de chaleur au milieu d’un désert. Mais de ce désert le couple est aussi responsable : il monopolise les élans relationnels des partenaires. Les idéaux de fusion, d’exclusivité sexuelle, d’amitié qu’ils cultivent affaiblissent les rapports qu’ils entretiennent avec le reste du monde. Il en est ainsi des amis, des amants et même de certains parents : ces liens deviennent vite menaçants.

 

En bref, le cannibalisme conjugal appauvrit aussi bien les partenaires que la société. C’est au moment de se séparer que les anciens passionnés voient s’écrouler comme un château de cartes le monde construit autour de leur couple. Et aussi l’étendue de la misère relationnelle dont ce dernier les avait préservés. Comment une société qui se vante d’être si rationnelle a pu faire des choix si peu sensés ? Alors qu’après la chute du mariage bourgeois on aurait dû mettre en place des institutions plus efficaces que le couple pour garantir la reproduction, la vie commune, la solidarité entre les personnes, la satisfaction des pulsions sexuelles et la compagnie. Des institutions qui, tout en respectant l’égalité et la liberté de chacun, auraient apporté l’équilibre, la stabilité et la félicité au plus grand nombre.

 

Que faire des passionnés afin qu’ils ne troublent pas la nouvelle société ? On pourrait aménager des espaces hors monde, comme les bibliothèques ou les prisons, pour y placer les personnes liées par une passion réciproque.

 

Dans ces centres de concentration passionnelle (CCP), les amants ne feraient rien d’autre que vivre et donc éteindre petit à petit leurs élans fastueux. Une fois rétablis, ils seraient prêts pour affronter les délices et les tracas de la société. Un peu comme les séjours de soins pour drogués, alcooliques, hommes violents et ceux qui ne peuvent pas s’empêcher de faire des achats inconsidérés. On pourrait autoriser dans une vie trois ou quatre stages dans les CCP, payés par la collectivité.

 

Les vieilles personnes seraient exemptées de vivre dans ces lieux car, lorsqu’elles tombent amoureuses, elles ne risquent pas de procréer, ni de perdre la chance de trouver un emploi ou de développer une vocation, ni de se séparer en mettant en danger leur équilibre et celui de la société.

 

Les citoyens les plus sages pourraient céder ou vendre un ou deux de leurs stages à des tempéraments plus passionnés que les leurs. Et tout le monde plaindrait ceux qui n’auraient jamais éprouvé le besoin d’y mettre les pieds.

 

Par Marcela Iacub

Cannibalisme conjugal - Libération

 

J'aime beaucoup Marcela...

Ce que je peux en dire sera forcément très subjectif...

D'ailleurs, inconsciemment, quand les gens parlent souvent c'est l'inconscient qui prend le dessus...

Cela a été parfaitement théorisé par Sigmund et consorts...

Moi je préfère l'approche des amis de Carl ceci dit ils parlent tous de la même chose...

J'en reviens à Marcela qui est une jeune femme courageuse...

Ce qu'elle dit du couple/société est parfaitement objectivable pour peu qu'on se donne les moyens de l'entendre...

Par moyen j'entends l'humilité l'ouverture et le désir de comprendre...

 

Merci pour ce partage...:)

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