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Djihad Syrie: Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer.


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Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer

Dounia Bouzar

 

Les combattants du pseudo-djihad (djihad offensif, initié sans consensus, pratiqué dans une violence extrême) recrutent en Europe, avec beaucoup d’habileté, des jeunes de milieux divers. Je viens de lire avec effroi le récent livre de Dounia Bouzar, qui est issu du témoignage de mères dont les filles sont parties pour la Syrie. On ne peut manquer de partager la douleur de ces femmes, et l’empathie ainsi suscitée nous force à regarder la réalité en face.

 

Ce qui surprend tout d’abord, c’est l’extrême diversité des cibles des pseudo-djihadistes. Les filles sont concernées au même titre que les garçons. Tous les milieux sociaux-culturels sont impliqués, avec même une surreprésentation d’enfants de professeurs et d’enfants se destinant aux professions médicales. Des enfants de familles athées, ou de familles juives, se voient endoctrinés. Nous sommes loin de l’image intuitive qu’on pourrait se faire du futur combattant, celle d’un garçon peu cultivé, immigré mal intégré et prédisposé à la violence. Si certains groupuscules de l’Etat Islamique s’intéressent de manière privilégiée à des détraqués prêts à tous les massacres, la filiale Al-Nosra d’Al-Qaïda cherche à attirer à elle de jeunes idéalistes pleins du désir et de la conviction de devoir agir pour une grande cause. Se rendent ainsi en Syrie non seulement des adolescents déséquilibrés attirés par la violence, mais encore des jeunes, filles ou garçons en quête de sens, tout à fait stables, sans difficulté scolaire ou relationnelle particulière, désirant pour les uns accomplir un devoir humanitaire, pour les autres accomplir une sorte de croisade pour le bien.

 

C’est principalement sur internet que se joue le recrutement des pseudo-djihadistes. Par le biais de vidéos et de conversations facebook, il s’agit de mener des jeunes en quête de sens vers un engagement total au service de la réinstauration du califat et de la régénération du monde. Les pseudo-djihadistes procèdent par étapes. Il s’agit avant tout de susciter des doutes quant à ce qui se présente comme vrai à l’extérieur. Une vidéo peut ainsi partir d’une critique des OGM et des compromissions des médias, pour mener à l’idée que le mensonge est omniprésent en Occident et que tout ce qui s’y dit est faux, avant de provoquer des sentiments de révoltes grâce à des photos de massacres perpétrés par Israël à Gaza ou par Bachar-al-Assad en Syrie, puis d’inviter à une lutte totale contre le mal et les mécréants. Sur facebook, les recruteurs partent souvent des souffrances des jeunes. La mort d’un proche pourra ainsi être interprétée comme un signe d’Allah pour sortir de l’ignorance. Des conversations mi-affectives mi-moralisantes lient des jeunes filles vivant en France aux “princes barbus” qui les épouseront à leur arrivée en Syrie. Abu Oumma, responsable de Al-Nostra francophone, semble piloter ces stratégies de recrutement. Ses propres vidéos agissent avec puissance, mélangeant critiques du monde occidental, versets coraniques, images de violence suscitant l’empathie, paroles exaltantes assurant qu’une mission est à accomplir, le tout accompagné de longues musiques anesthésiant l’esprit. “Au bout d’un moment, [le jeune] n’arrive plus à distinguer sa contestation des injustices et le rejet pur et simple du monde réel.”

 

La rapidité avec laquelle un endoctrinement peut être mené est terrifiante. En quelques mois seulement, des jeunes changent totalement d’existence, coupant les ponts avec leurs anciens amis et anciennes activités, persuadés d’être dans la vérité. Certaines jeunes filles rendent visibles leurs nouveaux engagements, parlent sans détour de leur foi nouvelle, refusent d’être en contact avec des hommes, ou de manger tout ce qui est susceptible de contenir certains aliments interdits. Mais d’autres ne laissent rien paraître de leur transformation et dédoublent leur personnalité sans que leur entourage ne le perçoive. Une femme découvre ainsi, le jour du départ à l’improviste de sa fille pour la Syrie, que celle-ci n’allait plus beaucoup à l’école et utilisait un deuxième compte facebook pour communiquer avec un homme la conseillant et l’évaluant dans ses progrès spirituels. Une autre femme, ayant des doutes quant au comportement de sa fille, la suit et découvre qu’elle s’habille tout en noir à l’extérieur de la maison et ne côtoie plus que d’autres jeunes femmes vêtues identiquement.

 

Or que se passe-t-il à l’arrivée de ces jeunes femmes en Syrie? Très loin d’un engagement humanitaire au service des Syriens, les pseudo-djihadistes se livrent à une guerre violente, entre eux et contre toutes les communautés de la région. Une mère musulmane, citée par Dounia Bouzar, a cette phrase sur “la grande différence entre un croyant et un fanatique: le premier se soumet à l’autorité de Dieu pour faire le bien, le second s’approprie l’autorité de Dieu, en son nom propre, pour commander le monde.” Il n’est pas très facile de connaître le sort des jeunes filles venues volontairement chercher le paradis en Syrie (les documentaires mettent surtout en scène des hommes), mais le livre de Dounia Bouzar en parle de manière indirecte, à travers notamment le retour de l’une d’entre elles. Jeune fille équilibrée à son départ, s’apprêtant à intégrer Sciences-po, elle parvient au bout d’un certain temps passé en Syrie à faire signe à ses parents de son désir de revenir en France. Ils vont la chercher et parviennent à la récupérer. Mais celle qui revient ne ressemble pas vraiment à celle qui était partie: détruite psychologiquement, ne cessant de pratiquer sur elles-mêmes des actes de masochisme, absente aux autres, elle est aujourd’hui hospitalisée. Qu’a-t-elle vu, qu’a-t-elle subi? Elle a sans doute assisté à un égorgement, sans doute à bien d’autres choses. Une autre jeune femme, qui affirmait à ses parents d’une voix robotique qu’elle se plaisait en Syrie, dans la main d’Allah, manifestera après de longs mois son désir de revoir ses proches. Ce désir, à peine exprimé, causera son assassinat. A la lecture de la dernière phrase de ce livre, j’ai pleuré amèrement.

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