Séphia 896 Posted October 17, 2014 Partager Posted October 17, 2014 C'était, dans la nuit brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Lune, quel esprit sombre Promène au bout d'un fil, Dans l'ombre, Ta face et ton profil ? Es-tu l'oeil du ciel borgne ? Quel chérubin cafard Nous lorgne Sous ton masque blafard ? N'es-tu rien qu'une boule, Qu'un grand faucheux bien gras Qui roule Sans pattes et sans bras ? Es-tu, je t'en soupçonne, Le vieux cadran de fer Qui sonne L'heure aux damnés d'enfer ? Sur ton front qui voyage. Ce soir ont-ils compté Quel âge A leur éternité ? Est-ce un ver qui te ronge Quand ton disque noirci S'allonge En croissant rétréci ? Qui t'avait éborgnée, L'autre nuit ? T'étais-tu Cognée A quelque arbre pointu ? Car tu vins, pâle et morne Coller sur mes carreaux Ta corne À travers les barreaux. Va, lune moribonde, Le beau corps de Phébé La blonde Dans la mer est tombé. Tu n'en es que la face Et déjà, tout ridé, S'efface Ton front dépossédé. Rends-nous la chasseresse, Blanche, au sein virginal, Qui presse Quelque cerf matinal ! Oh ! sous le vert platane Sous les frais coudriers, Diane, Et ses grands lévriers ! Le chevreau noir qui doute, Pendu sur un rocher, L'écoute, L'écoute s'approcher. Et, suivant leurs curées, Par les vaux, par les blés, Les prées, Ses chiens s'en sont allés. Oh ! le soir, dans la brise, Phoebé, soeur d'Apollo, Surprise A l'ombre, un pied dans l'eau ! Phoebé qui, la nuit close, Aux lèvres d'un berger Se pose, Comme un oiseau léger. Lune, en notre mémoire, De tes belles amours L'histoire T'embellira toujours. Et toujours rajeunie, Tu seras du passant Bénie, Pleine lune ou croissant. T'aimera le vieux pâtre, Seul, tandis qu'à ton front D'albâtre Ses dogues aboieront. T'aimera le pilote Dans son grand bâtiment, Qui flotte, Sous le clair firmament ! Et la fillette preste Qui passe le buisson, Pied leste, En chantant sa chanson. Comme un ours à la chaîne, Toujours sous tes yeux bleus Se traîne L'océan montueux. Et qu'il vente ou qu'il neige Moi-même, chaque soir, Que fais-je, Venant ici m'asseoir ? Je viens voir à la brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Peut-être quand déchante Quelque pauvre mari, Méchante, De loin tu lui souris. Dans sa douleur amère, Quand au gendre béni La mère Livre la clef du nid, Le pied dans sa pantoufle, Voilà l'époux tout prêt Qui souffle Le bougeoir indiscret. Au pudique hyménée La vierge qui se croit Menée, Grelotte en son lit froid, Mais monsieur tout en flamme Commence à rudoyer Madame, Qui commence à crier. " Ouf ! dit-il, je travaille, Ma bonne, et ne fais rien Qui vaille; Tu ne te tiens pas bien. " Et vite il se dépêche. Mais quel démon caché L'empêche De commettre un péché ? " Ah ! dit-il, prenons garde. Quel témoin curieux Regarde Avec ces deux grands yeux ? " Et c'est, dans la nuit brune, Sur son clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Alfred de Musset Citer Link to post Share on other sites
RedSide 10 Posted October 17, 2014 Partager Posted October 17, 2014 merci à toi pour ce poème, j'ai toujours aimé Alfred de Musset. Citer Link to post Share on other sites
Séphia 896 Posted October 17, 2014 Author Partager Posted October 17, 2014 merci à toi pour ce poème, j'ai toujours aimé Alfred de Musset. Merci à toi de lire et d'apprécier ... Citer Link to post Share on other sites
RedSide 10 Posted October 17, 2014 Partager Posted October 17, 2014 voici une de ses poèmes que j'apprécie beaucoup Vision Je vis d'abord sur moi des fantômes étranges Traîner de longs habits ; Je ne sais si c'étaient des femmes ou des anges ! Leurs manteaux m'inondaient avec leurs belles franges De nacre et de rubis. Comme on brise une armure au tranchant d'une lame, Comme un hardi marin Brise le golfe bleu qui se fend sous sa rame, Ainsi leurs robes d'or, en grands sillons de flamme, Brisaient la nuit d'airain ! Ils volaient ! - Mon rideau, vieux spectre en sentinelle, Les regardait passer. Dans leurs yeux de velours éclatait leur prunelle ; J'entendais chuchoter les plumes de leur aile, Qui venaient me froisser. Ils volaient ! - Mais la troupe, aux lambris suspendue, Esprits capricieux, Bondissait tout à coup, puis, tout à coup perdue, S'enfuyait dans la nuit, comme une flèche ardue Qui s'enfuit dans les cieux ! Ils volaient ! - Je voyais leur noire chevelure, Où l'ébène en ruisseaux Pleurait, me caresser de sa longue frôlure ; Pendant que d'un baiser je sentais la brûlure Jusqu'au fond de mes os. Dieu tout-puissant ! j'ai vu les sylphides craintives Qui meurent au soleil ! J'ai vu les beaux pieds nus des nymphes fugitives ! J'ai vu les seins ardents des dryades rétives, Aux cuisses de vermeil ! Rien, non, rien ne valait ce baiser d'ambroisie, Plus frais que le matin ! Plus pur que le regard d'un oeil d'Andalousie ! Plus doux que le parler d'une femme d'Asie, Aux lèvres de satin ! Oh ! qui que vous soyez, sur ma tête abaissées, Ombres aux corps flottants ! Laissez, oh ! laissez-moi vous tenir enlacées, Boire dans vos baisers des amours insensées, Goutte à goutte et longtemps ! Oh ! venez ! nous mettrons dans l'alcôve soyeuse Une lampe d'argent. Venez ! la nuit est triste et la lampe joyeuse ! Blonde ou noire, venez ; nonchalante ou rieuse, Coeur naïf ou changeant ! Venez ! nous verserons des roses dans ma couche ; Car les parfums sont doux ! Et la sultane, au soir, se parfume la bouche ; Lorsqu'elle va quitter sa robe et sa babouche Pour son lit de bambous ! Hélas ! de belles nuits le ciel nous est avare Autant que de beaux jours ! Entendez-vous gémir la harpe de Ferrare, Et sous des doigts divins palpiter la guitare ? Venez, ô mes amours ! Mais rien ne reste plus que l'ombre froide et nue, Où craquent les cloisons. J'entends des chants hurler, comme un enfant qu'on tue ; Et la lune en croissant découpe, dans la rue, Les angles des maisons. Alfred de Musset. Citer Link to post Share on other sites
amarlekabyle 10 Posted October 17, 2014 Partager Posted October 17, 2014 voici une de ses poèmes que j'apprécie beaucoup Vision Je vis d'abord sur moi des fantômes étranges Traîner de longs habits ; Je ne sais si c'étaient des femmes ou des anges ! Leurs manteaux m'inondaient avec leurs belles franges De nacre et de rubis. Comme on brise une armure au tranchant d'une lame, Comme un hardi marin Brise le golfe bleu qui se fend sous sa rame, Ainsi leurs robes d'or, en grands sillons de flamme, Brisaient la nuit d'airain ! Ils volaient ! - Mon rideau, vieux spectre en sentinelle, Les regardait passer. Dans leurs yeux de velours éclatait leur prunelle ; J'entendais chuchoter les plumes de leur aile, Qui venaient me froisser. Ils volaient ! - Mais la troupe, aux lambris suspendue, Esprits capricieux, Bondissait tout à coup, puis, tout à coup perdue, S'enfuyait dans la nuit, comme une flèche ardue Qui s'enfuit dans les cieux ! Ils volaient ! - Je voyais leur noire chevelure, Où l'ébène en ruisseaux Pleurait, me caresser de sa longue frôlure ; Pendant que d'un baiser je sentais la brûlure Jusqu'au fond de mes os. Dieu tout-puissant ! j'ai vu les sylphides craintives Qui meurent au soleil ! J'ai vu les beaux pieds nus des nymphes fugitives ! J'ai vu les seins ardents des dryades rétives, Aux cuisses de vermeil ! Rien, non, rien ne valait ce baiser d'ambroisie, Plus frais que le matin ! Plus pur que le regard d'un oeil d'Andalousie ! Plus doux que le parler d'une femme d'Asie, Aux lèvres de satin ! Oh ! qui que vous soyez, sur ma tête abaissées, Ombres aux corps flottants ! Laissez, oh ! laissez-moi vous tenir enlacées, Boire dans vos baisers des amours insensées, Goutte à goutte et longtemps ! Oh ! venez ! nous mettrons dans l'alcôve soyeuse Une lampe d'argent. Venez ! la nuit est triste et la lampe joyeuse ! Blonde ou noire, venez ; nonchalante ou rieuse, Coeur naïf ou changeant ! Venez ! nous verserons des roses dans ma couche ; Car les parfums sont doux ! Et la sultane, au soir, se parfume la bouche ; Lorsqu'elle va quitter sa robe et sa babouche Pour son lit de bambous ! Hélas ! de belles nuits le ciel nous est avare Autant que de beaux jours ! Entendez-vous gémir la harpe de Ferrare, Et sous des doigts divins palpiter la guitare ? Venez, ô mes amours ! Mais rien ne reste plus que l'ombre froide et nue, Où craquent les cloisons. J'entends des chants hurler, comme un enfant qu'on tue ; Et la lune en croissant découpe, dans la rue, Les angles des maisons. Alfred de Musset. Je comprends que tu puisses l'apprécier... Il est magnifique, sublime... Citer Link to post Share on other sites
amarlekabyle 10 Posted October 17, 2014 Partager Posted October 17, 2014 C'était, dans la nuit brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Lune, quel esprit sombre Promène au bout d'un fil, Dans l'ombre, Ta face et ton profil ? Es-tu l'oeil du ciel borgne ? Quel chérubin cafard Nous lorgne Sous ton masque blafard ? N'es-tu rien qu'une boule, Qu'un grand faucheux bien gras Qui roule Sans pattes et sans bras ? Es-tu, je t'en soupçonne, Le vieux cadran de fer Qui sonne L'heure aux damnés d'enfer ? Sur ton front qui voyage. Ce soir ont-ils compté Quel âge A leur éternité ? Est-ce un ver qui te ronge Quand ton disque noirci S'allonge En croissant rétréci ? Qui t'avait éborgnée, L'autre nuit ? T'étais-tu Cognée A quelque arbre pointu ? Car tu vins, pâle et morne Coller sur mes carreaux Ta corne À travers les barreaux. Va, lune moribonde, Le beau corps de Phébé La blonde Dans la mer est tombé. Tu n'en es que la face Et déjà, tout ridé, S'efface Ton front dépossédé. Rends-nous la chasseresse, Blanche, au sein virginal, Qui presse Quelque cerf matinal ! Oh ! sous le vert platane Sous les frais coudriers, Diane, Et ses grands lévriers ! Le chevreau noir qui doute, Pendu sur un rocher, L'écoute, L'écoute s'approcher. Et, suivant leurs curées, Par les vaux, par les blés, Les prées, Ses chiens s'en sont allés. Oh ! le soir, dans la brise, Phoebé, soeur d'Apollo, Surprise A l'ombre, un pied dans l'eau ! Phoebé qui, la nuit close, Aux lèvres d'un berger Se pose, Comme un oiseau léger. Lune, en notre mémoire, De tes belles amours L'histoire T'embellira toujours. Et toujours rajeunie, Tu seras du passant Bénie, Pleine lune ou croissant. T'aimera le vieux pâtre, Seul, tandis qu'à ton front D'albâtre Ses dogues aboieront. T'aimera le pilote Dans son grand bâtiment, Qui flotte, Sous le clair firmament ! Et la fillette preste Qui passe le buisson, Pied leste, En chantant sa chanson. Comme un ours à la chaîne, Toujours sous tes yeux bleus Se traîne L'océan montueux. Et qu'il vente ou qu'il neige Moi-même, chaque soir, Que fais-je, Venant ici m'asseoir ? Je viens voir à la brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Peut-être quand déchante Quelque pauvre mari, Méchante, De loin tu lui souris. Dans sa douleur amère, Quand au gendre béni La mère Livre la clef du nid, Le pied dans sa pantoufle, Voilà l'époux tout prêt Qui souffle Le bougeoir indiscret. Au pudique hyménée La vierge qui se croit Menée, Grelotte en son lit froid, Mais monsieur tout en flamme Commence à rudoyer Madame, Qui commence à crier. " Ouf ! dit-il, je travaille, Ma bonne, et ne fais rien Qui vaille; Tu ne te tiens pas bien. " Et vite il se dépêche. Mais quel démon caché L'empêche De commettre un péché ? " Ah ! dit-il, prenons garde. Quel témoin curieux Regarde Avec ces deux grands yeux ? " Et c'est, dans la nuit brune, Sur son clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Alfred de Musset Je connaissais la chanson... Pas l'auteur... Avec Séphia, c'est tout bon... Merci...Séphia... Citer Link to post Share on other sites
RedSide 10 Posted October 17, 2014 Partager Posted October 17, 2014 Je comprends que tu puisses l'apprécier... Il est magnifique, sublime... merci d'avoir lu , je trouve aussi, Alfred de Musset à toujours su faire parler les mots Citer Link to post Share on other sites
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