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La rue Tanger perd son « roi de la loubia » Le dernier service « d’El Moro »


Guest Padawan

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Malgré un soleil qui s’invite en narguant le printemps, la rue Tanger n’arrive pas, depuis jeudi dernier, à cacher son « masque » face au vide laissé par son personnage, El Moro (pour les intimes) et Aami Ali, le « roi de la loubia », pour tous ceux qui « freinent » devant la gargote devenue « palace » de la chorba loubia et de la sardine frit.

 

Un plat irrésistible qu’El Moro a pu fidéliser depuis les années 70. Tout le monde commande « sardine-loubia bezit » (cuillérée d’huile d’olive). Faut dire qu’El Moro allèche par les odeurs, remugles et exhalaisons.... qui captent le « nez » des dégusteurs ou des goinfres. El Moro, Monsieur « ingrédients ». Ce doseur qui le distingue des autres « tabakhin » (cuistot, saucier). Un exhausteur de goût. El Moro (le Maure), sobriquet qui lui a collé durant son séjour en prison, de son vrai nom Ali-Khelil Amar, a gagné Alger, depuis Annaba, à la fin des années 40, en adolescent (13 à 14 ans).

 

 

 

Il exercera tous les métiers et fréquentera tous les « milieux », comme tous les jeunes de son âge. Juste après l’indépendance, El Moro va camper à la rue Tanger, exactement dans cette cambuse « adossée » à l’arrière du cinéma Dounyazad. Ce fut, d’abord, une masure où il s’essaya à la vente de légumes avant d’opter pour la musique, très à la mode à l’époque, en transformant cette boutique en « disquaire ». Tous les styles y passaient, surtout la chansonnette chaâbie avec El Ankis, Guerrouabi, Zahi... et l’algérois avec Saloua ou Dahmane El Harrachi. Un bout de succès qui lui donnera le goût de s’affirmer ; autrement devenir restaurateur. En quelques années à peine, le fumet fait sensation. Le roi de la loubia s’affiche. Attire. On s’y bouscule. On mange assis, debout, à même l’escalier ou accoudé aux « remparts » de la rue. Chez El Moro, le plat est en trois lettres : « LSH » (loubia-sardine et Hamoud Boualem ».

 

 

 

La recette est jalousement gardée. Cette mansarde a aussi servi de « coin » de formation pour des dizaines d’apprentis qui ont travaillé chez El Moro et qui aujourd’hui excercent à leur compte en concurrents à la rue Tanger même. Le « roi de la loubia » aura été pour les générations de journalistes (1970-2000), un rendez-vous quotidien. El Moro connaissait pratiquement tous les journalistes d’El Moudjahid, Algérie Actualités et Horizons. Certains lui avaient consacré des portraits qu’il avait collés au mur de l’échoppe. Mais depuis quatre ou cinq ans, El Moro n’est plus assidu de sa grande poêle ou de son faitout (kazane) ou de la « tabouna ». Il lui arrivait, le matin, de diriger son équipe pour les dosages des ingrédients pour ensuite faire un brin de causette avec les amis du coin. Vers 10h, il demandait à goûter la loubia et la sardine. El Moro paraissait fatigué. Diminué. Sa démarche est lente.

 

 

 

Même ses plaisanteries et ses répliques ont perdu de leur superbe. La semaine passée, au crépuscule de la journée de lundi, j’avais peine à croire que Aâmi Ali se faisait aider pour monter les escaliers. Dans son « Shanghai » noir, je le voyais s’éloigner vers la mosquée. Ce jeudi, El Moro nous quitta à l’âge de 78 ans et repose au cimetière de Sidi Yahia. Mais la rue Tanger et ses milliers d’amis et clients ne perdront pas sa saveur et son accent algéro-bônois. Sa bonté aussi.

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