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Comment la Palestine a lancé une offensive diplomatique sans précédent


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Comment la Palestine a lancé une offensive diplomatique sans précédent

par Dominique Vidal pour Médiapart, mercredi 12 novembre 2014

 

Après vingt ans de négociations avec Israël qui ont conduit à une impasse évidente, et grâce aux différents pays occidentaux qui commencent à bouger, l’Organisation de libération de la Palestine a lancé, depuis septembre, une véritable offensive diplomatique pour faire reconnaître son État.

 

« Le gouvernement suédois doit comprendre que les relations au Moyen-Orient sont plus compliquées que le montage des meubles Ikea » : c’est avec cette formule méprisante que le ministre israélien des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a réagi à l’annonce de la reconnaissance bilatérale de l’État de Palestine par la Suède. Il est vrai qu’il s’agit du premier pays membre de l’Union européenne à franchir ce pas. D’où la rage de Tel-Aviv.

 

Rien là, pourtant, d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Ainsi la Chambre des communes a-t-elle voté une résolution – non contraignante – reconnaissant la Palestine. Le Parlement irlandais et celui de la Région Wallonie-Bruxelles en ont fait autant. Les Cortès s’apprêtent à suivre. À Paris, où Laurent Fabius répète que la France accomplira ce geste « à un moment », des députés du Front de gauche, des Verts et du Parti socialiste entendent le concrétiser sans attendre (lire notre article ici). Au total, à ce jour, 134 États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur 193 ont reconnu la Palestine. « Il faut un État palestinien », a pour sa part déclaré, à Gaza, la nouvelle haute représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini, en ajoutant : « Jérusalem doit être la capitale des deux États. »

 

Autant de bonnes nouvelles pour l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui a lancé, depuis septembre, une véritable offensive diplomatique. Il faut dire que vingt ans de négociations avec Israël ont conduit à une impasse devenue évidente avec le dernier round qu’a impulsé le secrétaire d’État américain John Kerry. Quant à la voie militaire, l’opération « Bordure protectrice » a confirmé qu’elle avait un coût humain et matériel considérable ; d’autant que, si Israël ne peut plus vaincre dans ce type de conflit, il ne peut pas non plus y être vaincu.

 

« L’occupation israélienne n’est pas seulement un déni des droits du peuple palestinien : elle est un défi au droit international comme à la paix et sécurité internationales », explique Majed Bamya, premier secrétaire du ministère palestinien des affaires étrangères, depuis New York où il participe aux efforts de sa délégation à l’Assemblée générale de l’ONU. Et de poursuivre : « Notre objectif est d’obliger la communauté internationale à se prononcer et à cesser de se cacher derrière des négociations que la colonisation a vidées de leur sens. Est-elle pour l’application du droit ou pour la préservation de l’impunité israélienne ? Sa réponse est désormais vitale, surtout après les terribles massacres contre notre peuple à Gaza cet été et l’escalade colonisatrice à Jérusalem. »

 

Mahmoud Abbas et Barack Obama à l'Eglise de la Nativité à Bethléem, le 22 mars 2013. © Pete Souza/Maison-Blanche

 

Le projet palestinien consiste à inverser la procédure qui n’a pas fonctionné avec les accords d’Oslo et depuis. Ce « modèle », c’était en effet la négociation bilatérale – sous les auspices des États-Unis – d’un accord intérimaire, renvoyant aux calendes la négociation sur les grandes questions du statut final (frontières, capitale, décolonisation, réfugiés, etc.). L’ONU s’en trouvait de fait exclue, et Israël pouvait bloquer toute avancée diplomatique, s’autorisant en revanche à multiplier les faits accomplis sur le terrain, à commencer par la colonisation qui a, rappelons-le, quadruplé depuis 1993 !

 

Au contraire, avec la reconnaissance de l’État palestinien et la résolution proposée par l’OLP au Conseil de sécurité, le cadre (les résolutions des Nations unies) et les délais (deux ans) seraient fixés pour que les deux parties négocient efficacement : l’État palestinien, conformément au droit international, aurait d’emblée ses frontières (celles des armistices de 1949) et sa capitale (Jérusalem-Est). Cette méthode permettrait d’éviter les dérapages à répétition du « processus de paix » – que Henry Kissinger, en son temps, définissait comme l’art de circuler à bicyclette le plus lentement possible… mais sans tomber !

Un veto de Washington ferait désordre en pleine coalition occidentalo-arabe contre Daech

 

Dans cette bataille, Mahmoud Abbas dispose de plusieurs atouts.

 

Le premier, c’est… la politique de Tel-Aviv. Certes, Benjamin Nétanyahou a bénéficié, durant l’opération meurtrière de cet été, de la complicité de nombre de gouvernements occidentaux, mais aussi arabes et, pour certains, émergents. Toutefois l’après-Gaza démontre à nouveau à leurs yeux, et de manière éclatante, l’inutilité des négociations bilatérales. Si le premier ministre avait ouvertement saboté les tractations chères à John Kerry, depuis la rentrée il a continué à multiplier les provocations : annexion de 400 hectares de terre cisjordanienne, annonce de 1 000 logements nouveaux à Har Homa et Ramat Shlomo, confiscation de plusieurs maisons palestiniennes de Silwan, menaces répétées sur l’esplanade des Mosquées…

 

Ces initiatives ont suscité la colère des chancelleries, même les plus complaisantes. Car comment croire, dans ces conditions, à la bonne foi du premier ministre lorsqu’il assure – du bout des lèvres – vouloir négocier avec l’Autorité palestinienne ?

 

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Quartier de Chajaya, Gaza, septembre 2014 © Pierre Puchot

 

Le deuxième atout de l’OLP, c’est la mobilisation en faveur de la Palestine à travers le monde. L’horreur des bombardements de cet été sur la bande de Gaza a profondément entaché l’image d’Israël. Or l’histoire le montre : des massacres de Sabra et Chatila à la répression de la première Intifada, puis de la seconde, les crimes commis par l’armée israélienne ont souvent entraîné un décrochage progressif de l’opinion, longtemps favorable à l’État juif. Cette fois, le phénomène se reproduit au point d’aller bien au-delà des partisans de la cause palestinienne : à preuve, en France, ce député socialiste, Alexis Bachelay, qui accuse Nétanyahou de « faire un bras d’honneur à 99 % de la planète »…

 

Le troisième atout de la diplomatie de Ramallah, c’est la persistance du gouvernement d’union palestinien. On se demandait si l’aura qu’a value au Hamas sa résistance à l’agression israélienne cet été n’allait pas inciter le mouvement islamiste à faire cavalier seul. Jusqu’ici, ce n’est pas le cas, même si les incidents se succèdent. Les deux grands mouvements ont négocié, non sans mal mais avec succès, la prise en charge par le cabinet de la bande de Gaza. Jusqu’à la question du paiement des fonctionnaires civils qui a trouvé une solution…

 

Fort de ces atouts, Mahmoud Abbas se fixe, on l’a vu, un objectif ambitieux. Pour obtenir la résolution qu’il attend du Conseil de sécurité, il lui faudra – première étape – s’assurer des neuf voix nécessaires pour que le projet de résolution s’impose à l’ordre du jour. Puis il devra – seconde étape – éviter tout veto de la part d’une des cinq grandes puissances.

 

Dans les rangs de la délégation palestinienne à New York, on se veut optimiste, malgré les pressions américaines pour dissuader Mahmoud Abbas de déposer son projet. Majed Bamya souligne : « Nous voulons une date limite pour cette occupation, la reconnaissance de notre État sur les frontières de 1967, le jugement des criminels de guerre et la fin de l’impunité d’Israël. Nous voulons la liberté et le droit. L’apartheid en Afrique du Sud a été vaincu par l’action combinée de la résistance populaire sur le terrain et de la mobilisation internationale. Nous empruntons le même chemin. »

 

Un chemin légitime, mais semé d’obstacles. L’idée que les États-Unis puissent s’abstenir au lieu de voter « non » laisse sceptiques la plupart des observateurs. Néanmoins, contrairement à ses prédécesseurs, Barack Obama n’a brandi en six ans qu’une fois son carton rouge afin de protéger Israël – il s’agissait d’empêcher, en février 2011, l’adoption d’une résolution condamnant la colonisation. De surcroît, le contexte a changé : un veto de Washington au service de Tel-Aviv ferait désordre en pleine coalition occidentalo-arabe contre l’Etat islamique. Reste à mesurer les conséquences de la victoire des républicains aux élections de mi-mandat…

 

Si, toutefois, la diplomatie américaine passait outre, les Palestiniens auraient recours à leur « bombe atomique », à savoir l’adhésion à la Cour internationale de justice (CIJ) et à la Cour pénale internationale (CPI). Israël, dès lors, pourrait se retrouver sur les bancs des accusés. Éviter ce risque constitue la priorité absolue de la diplomatie de Tel-Aviv, dans le cadre de sa bataille contre la reconnaissance de l’État de Palestine. Cette mobilisation israélienne souligne, a contrario, l’importance de l’enjeu.

 

Coïncidence ? Jamais autant d’anciens membres de l’appareil sécuritaire israélien ne s’étaient exprimés en faveur d’une initiative de paix aussi avancée. Ils proposent en l’occurrence d’« entamer des négociations avec les États arabes modérés et avec les Palestiniens (en Cisjordanie et aussi à Gaza) fondées sur l’initiative de paix de l’Arabie saoudite ». Adoptée par le monde arabe unanime, celle-ci prône la normalisation complète avec Israël en échange du retrait de celui-ci des Territoires occupés. Telle est l’exigence que 116 ex-généraux, dirigeants du Mossad et commandants de la police nationale, ont publiée dans le quotidien Yediot Aharonot dans une lettre à Benjamin Nétanyahou.

 

C’est dire combien l’establishment militaire s’inquiète de l’isolement croissant du pays. « Je ne doute pas que le premier ministre recherche le bien-être d’Israël, a commenté le major général de réserve Eyal Ben Reuven, mais je pense qu’il souffre d’une sorte d’aveuglement politique qui l’amène à se faire peur et à nous faire peur. »

 

Source : Comment la Palestine a lancé une offensive diplomatique sans précédent | Mediapart

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